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Angola, qu'as-tu fait de ton pétrole ?

Renate Krieger / Konztanze von Kotze15 février 2013

Deuxième producteur de pétrole sur le continent africain, l’Angola cherche à exporter son gaz naturel. Alors que les richesses en matière première boostent l’économie, la société angolaise continue de se fracturer.

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Image : DW/R. Krieger

Nous sommes à Soyo dans le nord de l'Angola, à la frontière avec la République démocratique du Congo. Dans un fossé, deux tuyaux posés horizontalement crachent une langue de feu de plusieurs mètres de haut, en direction du ciel. Ici comme partout ailleurs aux alentours de la ville, on brûle du gaz. Ce dernier provient de l'extraction du pétrole. Brûler les gaz toxiques comme on incinère des déchets est la méthode la moins chère pour s'en débarrasser. Et c'est ainsi que toutes les nuits, des torches de gaz illuminent le ciel au-dessus de Soyo. Souvent, ces flambeaux sont mêmes les seules sources de lumière car les quelques lampadaires de la ville ne fonctionnent que rarement. « La nuit, la ville est plongée dans le noir. Si quelqu'un traverse, on n'est même pas sûr de le voir », raconte Luciano Nzombo Madia tout en manœuvrant pour que son véhicule évite les nombreux nids de poule qui parsèment la route.

De gigantesques réserves de gaz

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Le torchage du gaz, un procédé nuisible à la santé et à l'environnementImage : DW/Renate Krieger

Bientôt cependant, les torches devraient s‘éteindre car l'Angola compte traiter le gaz. La première installation GNL du pays est en train de voir le jour à Soyo – GNL c'est l'abréviation de gaz naturel liquéfié. Un réseau complexe de conduites s'étend déjà sur une surface équivalant à 240 terrains de football. Le chantier a commencé en 2008. L'entreprise devait entrer en service début 2012 et produire 5,2 millions de tonnes de gaz liquéfié par an. L'Angola se serait alors bien positionné sur un marché lucratif puisque jusqu'ici, le continent ne possède que huit installations de ce genre. Sauf que pour le moment, l'entreprise GNL est toujours hors service. La phase de test se poursuit, affirme-t-on officiellement. Et c'est aussi pour cette raison que les journalistes n'ont pratiquement aucune chance d'obtenir une autorisation pour visiter le site.

Selon les informations de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), l'Angola est le deuxième plus gros producteur de pétrole du continent africain après le Nigeria. Il produit 1,62 million de barils par jour. Toujours selon l'OPEP, le pays dispose par ailleurs de 366 milliards de mètres cubes de réserves en gaz naturel. C'est presque 20% de plus que ce qui était connu en 2010.

Pas d'emploi pour la population

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L'installation GNL à Soyo : les débuts de l'exploitation du gazImage : DW/Renate Krieger

Certes, on ne produit pas encore à Soyo mais des clients, il y en a déjà. Les Etats-Unis veulent importer du gaz liquide et sont déjà les principaux clients de l'Angola en ce qui concerne le pétrole. L'entreprise nord-américaine Chevron participe à hauteur d'environ 36% au projet angolais GLN. Elle est donc son propriétaire principal. L'entreprise nationale angolaise Sonagás possède de son côté tout juste 23%. Les autres entreprises participantes sont italienne (ENI), britannique (BP) et française (Total).

Avec le boom des matières premières, beaucoup de gens mais aussi d'entreprises sont venus s'installer à Soyo, raconte Luciano le chauffeur de taxi, tandis qu'il se dirige vers le centre-ville. Entre 2010 et 2011, Luciano travaillait en tant que contremaître pour le projet GNL. Il surveillait la pose des pipelines jusque dans l'océan Atlantique. Ces derniers permettent d'extraire du gaz naturel jusqu'à 1.700 mètres de profondeur, explique l'électricien de formation.

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Luciano Nzombo Madia, un déçu du boom pétrolierImage : DW/R.Krieger

Une fois tous les pipelines installés, Luciano a perdu son travail. Aujourd'hui il est chauffeur de taxi. Il gagne environ 15.000 kwanza par jour, soit 150 dollars. Avant, avec le projet GNL, il recevait l'équivalent d'à peine 330 dollars par mois. Sur le marché du travail, le boom des matières premières n'est presque pas perceptible, critiquent les défendeurs des droits de l'Homme et les experts économiques. Selon les estimations officielles, le secteur angolais du pétrole emploie à peine 0,5% des actifs.

Luanda dans l'ivresse du pétrole

Jusqu'ici, la seule qui ait vraiment profité de la richesse des matières premières est la capitale angolaise, Luanda : les gratte-ciels y poussent comme des champignons et la plupart des banques et des grandes entreprises y ont implanté leur siège. Cela fait longtemps que la métropole de cinq millions d'habitants compte parmi les villes les plus chères du monde. Dans le centre, le loyer pour un appartement peut dépasser les 5.000 dollars tandis que le mètre carré s'envole à plus de 1.000 dollars. Pour un simple repas – un hamburger ou une assiette de soupe – il faut débourser en moyenne 10 dollars.

L'avenue Marginal, la rue qui borde la côte et qui s'étend à travers le quartier des grandes banques est propre et goudronnée. On croirait presque qu'elle est inutilisée. Avec l'argent du pétrole, le gouvernement a aussi rénové le réseau routier du pays. C'était à la fin de la guerre civile, en 2002. Des routes modernes relient aujourd'hui de nombreuses villes de province entre elles. Mais il suffit de prendre une rue transversale à l'avenue Marginal pour se retrouver dans les bouchons. Les véhicules n'avancent alors que très lentement à cause des innombrables nids de poule. Les feux de signalisation clignotent et pour parcourir quelques kilomètres on a besoin d'une demi-heure.

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Le luxe s'étale dans la capitale : l'avenue Marginal à LuandaImage : DW/Renate Krieger

Pas d'asphalte, pas d'eau, pas d'électricité

Hormis quelques projets prestigieux, la plupart des Angolais ne perçoivent pas grand chose du boom des matières premières dans leur pays. Les autorités politiques en ont la preuve noir sur blanc. Selon un rapport des Nations Unies publié en 2012, 37% de la population vit dans une extrême pauvreté c'est-à-dire avec moins d'un dollar par jour. En 2000, toujours selon l'Onu, le taux s'élevait à 54%. Certes, l'extrême pauvreté a été réduite d'un tiers. Mais on aurait pu faire davantage car dans le même temps, le pays a connu une croissance fulgurante. Le produit intérieur brut est passé de 660 dollars en 2000 à 5.150 dollars en 2011, soit une multiplication par huit selon la Banque mondiale. Ainsi, tandis que les pauvres n'ont pratiquement rien gagné, les riches sont devenus beaucoup plus riches.

« Le meilleur moyen de répartir la richesse nationale est de créer des emplois » explique Norberto Garcia, un juriste recruté avant les élections législatives de 2012 par le MPLA, le parti au pouvoir. « Nous avons un taux d'alphabétisation de 34% et cela complique la répartition de la richesse. Le gouvernement doit donc promouvoir l'éducation pour que la population puisse ensuite décrocher des emplois ». Avec un plan de développement national, les autorités veulent désormais lutter plus efficacement contre la faim et la pauvreté, encourager l'accès à la formation et à l'emploi, améliorer l'accès à l'énergie et à l'eau pour la population.

A Cazenga, le quartier le plus peuplé de Luanda, ces mesures sont plus qu'urgentes. Les rues ne sont pas goudronnées. Lorsqu'il pleut, les voies de communication se transforment en un bourbier. Les hommes, les femmes et les enfants pataugent dans des flaques remplies de détritus. L'électricité ne fonctionne que quelques heures par jour. « Les ingénieurs électriciens disent que les lacs de barrage sont à sec et ce sont des professionnels donc on est bien obligé de les croire » explique Euricleurival Vasco qui est assis avec sa sœur et quelques enfants devant un stand de tomates. Vasco porte un T-Shirt avec une photo d'Agostinho Neto, le premier président de l'Angola indépendant. Du haut de ses 27 ans, il est l'un des nombreux habitants de Cazenga à soutenir le parti au pouvoir, le MPLA. Il faut dire que la plupart des hommes politiques du parti viennent de ce quartier.

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Le président Dos Santos pendant la campagne électorale de 2012Image : picture-alliance/dpa

Un parti qui a le dernier mot

La croissance de l'économie angolaise a augmenté de près de 7% en 2012. Pour de nombreux pays industrialisés, c'est un pourcentage de rêve. Mais cette croissance est créée presque exclusivement par le secteur du pétrole, selon l'économiste angolais Fernando Heitor. Ceux qui en profitent sont avant tout les membres de l'élite économique et politique autour du président José Eduardo dos Santos. Voilà 33 ans qu'il est à la tête du pays. En août 2012, il a été élu pour la première fois démocratiquement même si c'était de manière indirecte, lors des élections législatives.

Promesses non tenues

A Viana, une banlieue de Luanda, des citoyens expulsés par le gouvernement attendent toujours de retrouver une maison – cela fait déjà cinq ans. Au début, ils vivaient sur l'lle de Luanda, une bande de terre à proximité de la côte nord de la capitale, en face de l'avenue Marginal avec les nouveaux gratte-ciels. Mais comme le gouvernement voulait construire une route précisément à cet endroit, les habitants ont dû céder leur place. N'ayant plus de toit, ils se sont construit des abris de fortune à Viana. Des familles entières vivent ici avec à peine 300 dollars par mois.

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L'envers du décor : les habitants du bidonville de VianaImage : DW/Renate Krieger

Une ville plus loin, à Kilamba, des milliers d'appartements tout neufs sont vides. Pour le moment, seuls 220 appartements sur près de 3.000 ont été vendus. Kilamba est le symbole d'une promesse que le président José Eduardo dos Santos avait formulée lors de sa campagne en 2008. A l'époque, dos Santos voulait construire un million d'appartements abordables pour la population. Entre temps, le prix de vente de ces appartements oscille entre 90.000 et 150.000 dollars. Pour la majorité des Angolais c'est tout simplement hors de prix.