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Etat de droitMali

Aminata Traoré : "Les populations ne sont pas consultées"

25 octobre 2023

L'ancienne ministre de la Culture du Mali et militante altermondialiste Aminata Traoré remet en cause l'imposition de la démocratie à l'occidentale en Afrique.

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De passage récemment à Bruxelles dans le cadre du Festival des libertés, Aminata Traoré revient sur l'actualité dans le Sahel et plus précisément dans son pays, le Mali.

Pour celle qui fut ministre de la Culture et qui défend l'altermondialisme, l'heure est venue de penser une autre Afrique.

Selon elle, la source des malheurs de son pays viendrait en effet des entreprises étrangères qui l’ont pillé, ou encore des Etats et institutions internationales qui l’ont soumis à des réformes qui ne lui étaient pas favorables.

Aminata Traoré remet en cause aussi la légitimité du système démocratique occidental et souhaite que son pays retrouve sa mémoire et son identité. Elle est notre invitée de la semaine et est interrogée par Wendy Bashi.

Ecoutez ci-dessous ou lisez ci-dessous l'entretien avec Aminata Traoré

 

DW : Aminata Traoré, quel regard posez-vous sur ce qui se passe dans le nord du Mali?

Je suis habitée par cette situation qui n'a que trop duré. On nous avait promis une libération totale et rapide de notre pays, du djihadisme, et puis, finalement, la France s'est enlisée et la Minusma avec.

Le Mali, demander le départ et de la force Barkhane et de la Minusma. C’est du jamais vu dans l'histoire des relations de ces puissances avec l'Afrique, dans l'imaginaire populaire, pays enclavé, pauvre et tout le reste. On était, semble-t-il, venu nous sauver. Le sauvetage n'a pas eu lieu. Les gens ont dit: ça va, ça suffit.

J'ai plaidé pour cela, tout simplement parce que, dès le départ, j'avais et j'ai l'intime conviction que ceux qui nous chassent ici comme des malpropres, ceux qui laissent les Africains mourir en méditerranée, n'ont aucune raison d'aller les sauver au Sahel.

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DW: Mais à quoi est-ce que vous vous imputez l'échec de la Minusma?

Si vous avez quinze mille personnes, avec les moyens qui sont les leurs, et que les Maliens meurent par milliers, civils et militaires, on a le droit de se poser des questions : À quoi sert la Minusma? La question des Touaregs est un dossier…


DW: … c'est un dossier qui remonte à longtemps. Il y a quand même des frustrations. On sent que c'est les personnes qui ne se sentent pas représentées au sein des institutions, au sein des instances de prise de décision…

Pour moi, de cette question comme des autres aspects des crises dans nos pays, le diagnostic est erroné.

On met en avant la question de la démocratie représentative. Moi, je n'y crois pas. Si on traduit tout en termes de représentation de telle et telle ethnie, on fausse le débat.

Moi, ce qui m'intéresse c'est de savoir quels sont les enjeux, pour quelles perspectives de développement ? On ne nous l’a jamais dit. Ce sont des formes de transformation qui ne répondent en rien aux besoins essentiels des populations concernées. Les concernés ne sont pas consultés, nos pays sont endettés, surendettés, pour des investissements qui profitent d'abord aux entreprises étrangères.


DW : Mais, Madame Traoré, finalement, quelle solution?

Moi, je me rends compte aujourd'hui, après ce que nous avons vu avec l'Ukraine, ce que nous voyons ces derniers jours avec la Palestine, qu'il y a une dimension essentielle dans la recherche de solutions durables, c'est la question du narratif : Quelle est la nature du récit? Qu'est-ce qu'on nous dit, qu'est-ce qu'on dit à propos de nous et de nous dans le monde et qu'est-ce que nous-mêmes, nous avons entendu, compris et intériorisé?

Quand on vient vous dire que votre problème, c'est ça, c'est parce que les Touaregs ne sont pas représentés, mais à condition que vous soyez dans un système politique qui laisse un minimum de marge de manœuvre à vos élus. Non, nous n'avons pas d'élus nous avons des gens qui sont en mission pour l'Union européenne, la France et les autres.

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DW : Une autre question: quand on regarde la situation, aujourd'hui, on voit que ce sont les militaires qui dirigent le Mali. Est-ce que vous pensez que les civils ont échoué et les militaires vont arriver à ramener la paix, à pacifier le pays du nord au sud?

On a toujours eu des gouvernements militaires ou civils depuis la chute régime de Modibo Keïta [en 1968]. Ils ont fait tomber Modibo à la faveur d'Un coup d'Etat et immédiatement après la chute de Modibo, le FMI et la Banque mondiale ont ouvert les vannes.

On a donné tous les moyens à un régime militaire de mettre en œuvre des politiques néolibérales qui, au bout de 20 ans, vont faire tomber Moussa [Traoré] lui-même. Parce qu'il n'y avait pas de création d'emploi, parce que nous, on entrait dans le marché avec le coton et l’or qui ne nous rapportait pas grand-chose. C'est moins pour moi un problème d'homme qu'un problème de système.

Et il y a le mythe du président démocratiquement élu, légitime parce que démocratiquement élu. Mais des élections, parlons-en! On n'est pas élu sans argent, on ne se maintient pas sans argent, on n'est pas réélu sans argent.

On n’a d'argent que lorsqu'on va chercher des investisseurs étrangers en leur promettant de leur vendre le pays.

De quelle démocratie on nous parle ? Est-ce que ceux qui vont glisser leur bulletin dans l’urne sont suffisamment outillés pour savoir pourquoi ils vont voter pour un tel ou un tel? On leur a dit: seulement, il faut que les élections se déroulent bien, à temps, et sinon il n'y a pas de démocratie. Mais on ne leur a jamais dit : est-ce que vous allez juger Paul ou Pierre en fonction de la conformité de son agenda avec ce que vous attendez réellement de lui?


DW :  Est-ce que la solution, c'est le retour à la Charte du Mandé ? Est-ce que ça pourrait être une piste?

C'est une référence, c'est pour dire de toute façon que nous avons existé en tant que peuple et que nous avons une mémoire, que nous ne venons pas de nulle part, que les gens ont leurs règles, vivent mais, ils sont pas à l'écoute de ce que nous sommes et ils veulent faire de nous ce qu'ils veulent: des consommateurs d'idées de produits, un marché.

Nous sommes marché et les élections, c'est du business.

[ndlr: La Charte du Mandé, évoquée à la fin de cet entretien, est un texte de droits fondamentaux qui remonte au 13e siècle, soit bien avant le Bill of Rights britannique de 1689 ou la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 en France.]