1. Aller au contenu
  2. Aller au menu principal
  3. Voir les autres sites DW
HistoireRwanda

A tout moment, "nous pouvions être tués"

Georges Ibrahim Tounkara
17 janvier 2024

Interview avec l'écrivaine franco-rwandaise Beata Umubyeyi Mairesse. Elle relate dans "Le Convoi" son sauvetage lors du génocide de 1994 au Rwanda.

https://p.dw.com/p/4bLfD

Beata Umubyeyi Mairesse est une survivante du génocide de 1994 au Rwanda. Il y a presque 30 ans, alors qu’elle était âgée de 15 ans, elle a fui avec sa mère la ville de Butare. Les deux femmes s’étaient dissimulées à l’arrière d’un camion. Elles ont pu ainsi fuir et trouver refuge au Burundi voisin. 

Beata Umubyeyi Mairesse est franco-rwandaise. Elle a déjà écrit plusieurs livres sur le génocide des Tutsis en 1994. Sa dernière publication, "Le Convoi", a paru la semaine dernière chez Flammarion. Il s’agit du récit de son sauvetage.

Beata Umubyeyi Mairesse est interrogée par Georges Ibrahim Tounkara
 

Dans "Le Convoi", vous racontez comment, adolescente, vous avez été sauvée des machettes, des milices hutus. Dites-nous comment cela s'est passé..

Il y a une ONG suisse, qui s'appelle Terre des hommes, qui a organisé plusieurs convois en partant de la ville de Butare, dans le sud du Rwanda, vers l’Ouganda, pour évacuer des enfants.

Plusieurs centaines d'enfants ont été évacués entre le mois de juin et début juillet 1994. La majorité d'entre eux étaient des enfants tutsis. Certains étaient également des enfants hutus qui étaient dans des orphelinats, dans des centres d'accueil jusqu'alors et j'ai eu la chance inouïe de pouvoir être dans le convoi du 18 juin avec ma maman et de pouvoir ainsi survivre au génocide contre les Tutsis qui avait commencé le 7 avril 1994.

Le convoi était organisé par une poignée de personnes, finalement, et ça, je ne m'en suis rendu compte que très tardivement : il y avait le représentant de Terre des hommes Suisse, qui s'appelait Alexis Briquet, et le convoi du 18 juin était organisé également en compagnie de son épouse.

Au Rwanda, le pouvoir des mots de Delah Dube


Mais la traversée n'a pas été facile, vous le dites dans cet ouvrage.

Oui, parce qu'entre Butare et la frontière du Burundi, à-peu-près une trentaine de kilomètres, il y avait un très grand nombre de barrages tenus par des miliciens hutus extrémistes. A tout moment, tout pouvait basculer et nous pouvions être tués.


Qu'est-ce qui fait la différence entre "Le Convoi" et vos autres publications?

Ces autres textes étaient de la fiction, donc je ne parlais absolument pas de mon histoire personnelle.

 Évidemment, je parlais parfois de faits inspirés de la réalité, mais avec des personnages inventés et des situations parfois inventées.

"Le Convoi", pour le coup, c'est un récit. Donc, j'ai fait un long travail, plusieurs années d'enquête pour retrouver les différents protagonistes de cette scène de passage de frontière, retrouver les journalistes, les humanitaires et surtout les autres enfants qui ont été sauvés par ces convois.


Trente ans après, quelles sont les responsabilités dans ce génocide ? Il y a le régime de Juvénal Habyarimana, mais on parle aussi de la communauté internationale.

Alors ça, ce n'est pas le sujet principal de mon texte. Moi, je travaille, parce que peut-être, aussi, je suis écrivaine, sur la question de la mémoire, la question du temps qui passe et la question du récit est très importante.

J'ai plutôt envie de renvoyer vers des textes pour ce qui est, par exemple, de la responsabilité de la France durant le génocide contre les Tutsis, des études qui ont été faites, et de façon très sérieuse, par, notamment des journalistes français.

Il y a une prise de conscience, au niveau du public français, du fait que c'est aussi une histoire française, et que, et que ces responsabilités-là est important qu'elles soient connues et que cette histoire soit transmise aussi aux nouvelles générations.


Trente ans après le génocide, quelle leçon devrait-on, selon vous, tirer de cette tragédie?

Déjà, peut-être, être conscients du fait que ce mot de de tragédie ne dit pas la réalité ; le fait que ce génocide avait été annoncé, qu'il aurait pu être arrêté et que c'est une vraie faillite de la communauté internationale.

Donc, aujourd'hui, en termes de leçons, c'est peut-être de se demander comment arrêter les choses quand on peut encore le faire. Au-delà de ça, évidemment, c'est toute une réflexion sur le pouvoir des mots, la propagande.


Pour vous, il est très important que les rescapés du génocide témoignent ?

Les rescapés du génocide ont toujours témoigné, depuis 1994. Ce qui est important aujourd'hui, c'est surtout de faire en sorte que leurs voix soient entendues et qu'elles soient au centre du récit mondial.

My City Kigali


Quel regard portez-vous sur le Rwanda d'aujourd'hui ?

Moi, je vis en France depuis 1994 et j'ai vécu dans d'autres pays également. Donc, c'est un pays que je regarde de loin. J’y vais régulièrement.

Je suis assez impressionnée par l'énergie que déploient les Rwandaises et les Rwandais, quels qu'ils soient, que ce soit les rescapés, que ce soit les Rwandais qui sont arrivés de l'étranger qui avaient fui les pogroms des années 1950 jusqu'aux années 1970, que ce soit ceux dont les familles ont pu participer aux génocides, ou même les génocidaires qui ont été ensuite jugés…

Il y a une volonté aujourd'hui de faire payer et de faire nation, avec cette idée aussi que les divisions qui ont pu être instaurées au XXè siècle, il faut les dépasser. Mais ça ne peut se faire que via la justice. Et s’il y a un travail de mémoire qui est fait.


On termine sur cette question du volet judiciaire. Quel regard jetez vous, sur les différents procès qui se sont tenus?

L'essentiel c'est que la justice se fasse. Pour ce qui est de la France, par exemple, il y a des procès ont été très, très longs à venir, il y a encore des personnes présumées génocidaires qui ne sont pas jugées.

La justice peut parfois être lente et ça peut être difficile pour les rescapés ou pour les associations qui se battent pour que cette justice soit faite. Le temps passe, et 30 ans, ça peut paraître peu mais c'est énorme pour les survivants.

 

Georges Ibrahim Tounkara Journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle