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Llevellyn Jordaan ou quand le foot se veut social

18 mai 2010

Derrière le glamour du Mondial se cache une réalité plus sombre. Le frère cadet du chef du comité organisateur du Mondial travaille à la réhabilitation d'anciens délinquants par le football, dans un ghetto du Cap.

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Llevellyn Jordaan, frère de DannyImage : DW/Schadomsky

« Désolée, Danny est occupé». Une fois de plus, la secrétaire de Danny Jordaan, le chef du comité d'organisation de la Coupe du Monde de football, éconduit son frère, Llevellyn. Celui-ci garde malgré tout son calme etcontinue d'espérer que son aîné va tenir sa promesse: venir lui rendre visite à Lavender Hill avant le début du Mondial.

Là-bas, dans la zone mafieuse la plus célèbre du Cap, le plus jeune frère du chef du comité d'organisation travaille avec les bandes criminelles les plus dures du pays, loin du strass et des paillettes de la FIFA. Chaque jour, il est confronté à l'autre visage de la métropole-modèle du pays, celui des drogues, des guerres de gangs, de la violence sans limites.

WM-Gastgeber 2010 Südafrika - Danny Jordaan
Danny Jordaan (à.d.) avec le ministre sud-africain des Sports Ngconde BalfourImage : picture-alliance/dpa

Ils n'ont décidément pas beaucoup de choses en commun, ces frères Jordaan. D'un côté, Danny, glamour, avec sa barbe de trois jours, le « Beckenbauer » du football sud-africain, décontracté face aux journalistes. De l'autre, Llevellyn le calme, qui, à 9 heures du matin, ne reçoit non pas Sepp Blatter, mais des femmes maltraitées par leurs compagnons malfrats. En dépit de leurs différences, leur foi en le football et ses vertus pour améliorer la société rassemble les deux frères.

« La première chose que les gangsters me disaient, c'était : 'Laissez-nous jouer au football!' », se rappelle Llevellyn Jordaan. Peu avant les premières élections démocratiques de 1994, le township de Lavender Hill était au bord de la guerre civile, tout comme le reste du pays. Cette violence était le résultat direct de la politique raciale menée par la minorité blanche au pouvoir, qui parquait les hommes de couleur et les noirs dans des ghettos, théâtres au quotidien d'une guerre des gangs tellement déchaînée que l'armée avait failli investir les lieux.

Pour contrer la violence, le travailleur social Llevellyn décide de se servir du ballon rond. Il réussit à faire jouer ensemble des membres de gangs rivaux parmi les plus violents, comme ceux des « Boston Kidz » et des « Mongrels ». Certes, la tentation est grande au début, pour certains des joueurs, de régler leurs différends à coups de pistolet, mais au final, les matchs ont une issue pacifique. Cette première victoire du travailleur social s'étale alors en une des journaux du Cap. « J'ai immédiatement appelé Danny et lui ai dit : Imagine-toi, les bandes rivales jouent au football l'une contre l'autre. » Le frère, déjà influent à l'époque, l'aide à établir le club de football nouvellement crée, le FC Lavender Hill, dans le championnat local. Le slogan « A child in sport is a child out of court » - « un enfant qui fait du sport est un enfant qui ne finit pas devant les tribunaux » était né.

Fußballspielen gegen Gewalt Flash-Galerie
Match à Lavender HillImage : DW/Ludger Schadomsky

Seize ans plus tard, Lavender Hill et ses 85 000 habitants n'ont pas vraiment changé, même si le taux de criminalité est en baisse. Il n'en reste pas moins qu'avec un taux de chômage de 85% chez les jeunes, de nombreux problèmes d'alcoolisme, des abus sexuels commis sur des femmes et des enfants, cette banlieue demeure un symbole des problèmes de l'Afrique du Sud post-apartheid. Malgré tout, Jordaan continue à croire en la puissance du ballon rond.

Ce dimanche, le terrain de football est plein, et, au lieu de courir après la drogue, de jeunes enfants vêtus de maillots du FC Liverpool courent après une balle aux couleurs du pays. Jordaan constate avec joie : « Nous devons continuer à développer le potentiel de ces jeunes, il est de notre devoir de tout faire pour qu'ils ne tombent pas entre de mauvaises mains ». Son projet étant soutenu par l'Allemagne, Jordaan peut compter sur l'aide – et l'expertise footballistique- d'Allemands qui effectuent leur service civil sur place. Ceux-ci donnent des cours de soutien aux enfants de Lavender Hill – avec ou sans ballon.

Vom Bandenchef zum Fußballbotschafter
Turner AdamsImage : DW/Schadomsky

Turner Adams est lui aussi de la partie. Ancienne figure de proue du tristement célèbre gang de prison « 28 », qui a terrorisé Lavender Hill pendant des années, ce géant au corps entièrement tatoué a désormais abandonné la drogue et les combats meurtriers. Aujourd'hui, il est devenu ambassadeur du football de son quartier. « Ici, à Lavender Hill, nous avons 10 Ronaldinhos et 10 Messis », clame Turner avec assurance. « C'est à nous, les anciens, de dissuader les plus jeunes d'emprunter le chemin de la drogue et de la délinquance». Comme beaucoup de gens ces temps-ci, il ne décolère pas contre les dirigeants de la FIFA et de la fédération sud-africaine de football (South African Football Association, SAFA) : « On n'a rien vu de tout cet argent ici, tout en bas. Quelqu'un de la SAFA ou du comité organisateur devrait peut-être passer nous voir. »

C'est aussi ce qu'espère Llevellyn Jordaan. Ce matin, il refait un tour dans Lavender Hill. Des coups de feu ont retenti la nuit précédente ; les gangs essayent de délimiter leur territoire, car la Coupe du Monde promet d'être lucrative pour le trafic de drogue.

Jusqu'ici, Danny Jordaan n'a pas trouvé le temps de venir rendre visite à son frère. Il s'agissait pourtant de l'atout principal de la candidature de l'Afrique du Sud au Mondial : le développement par le football – comme tentent de le faire Llevellyn Jordaan et ses civils allemands. « Nous attendons qu'il trouve le temps de venir nous voir et que ses paroles soient enfin suivies d'actes. »

Auteurs: Ludger Schadomsky/Ali Farhat
Edition: Sandrine Blanchard