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RDC : en Ituri, les violences sont "intergénérationnelles"

Paul Lorgerie
2 novembre 2023

Souvent présentées comme un conflit économique et territorial, les tensions entre communautés remontent en réalité à des décennies selon Adolphe Agenonga Chober.

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Des jeunes dans le site de déplacés de Rhoe, dans le territoire de Djugu, dans la province de l'Ituri.
Selon le chercheur Adolphe Agenonga Chober, les violences en Ituri sont intergénerationnelles.Image : Paul Lorgerie/DW

Depuis la fin de l'année 2017, un conflit ensanglante la province de l'ituri et plus particulièrement le territoire de Djugu. Deux communautés sont au coeur de la dispute. D'un coté, les Lendus, peuple d'agriculteurs. De l'autre, les Hémas, traditionnellement éleveurs. 

Ces deux, voisins répartis dans le territoire en peau de léopard, s'affrontent régulièrement dans des massacres largement attribués à la Coopérative pour le développement du Congo(Codéco), un groupe armé mystico-religieux autoproclamé comme défenseur de la communauté lendue qui, lorsqu'il passe à l'attaque, tue aveuglément. 

Une "violence intergénerationelle" pour le professeur Adolphe Agenonga Chober, spécialiste des mouvements armés à l'universitè de Kisangani qui est revenu sur l'histoire de ce conflit pour la DW.

DW : À l'origine, qui se trouvait dans le territoire de Djugu, aujourd'hui au coeur des disputes ?

Adolphe Agenonga Chober : Le teritoire de Djugu a été occupé au fil des différentes vagues migratoires. Au 18e siècle, les occupants étaient les Lendus. Puis, le peuple héma est arrivé par le sud, par le territoire d’Irumu, avant qu’une partie s’en décroche pour se diriger vers le territoire de Djugu. Cette dernière vague a adopté la langue des Lendus.

Un siècle plus tard, vers le 19e siècle, les colons belges se sont installés dans la région. Ils vont essayer de restructurer le mode de vie, du moins l’administration coutumière. Ce qui va progressivement conduire vers des conflits communautaires.

DW: En quoi cela a amené des conflits communautaires ?

Adolphe Agenonga Chober : Les colons belges avaient une politique discriminatoire envers les Lendus. Ils avaient beaucoup plus de considération vis-à-vis des Hémas dont les enfants seront scolarisés, contrairement aux enfant lendus qui n’ont pas eu les mêmes avantages. Sur le plan de l’administration coutumière, les Hémas seront engagés en premeir et cela va créerune certaines disparité. De suite, ces disparités vont créer des tensions latentes.

Et puis, il y a la faute du zonage, qui consiste a délimiter les terres. Mais malheureusement, parfois, les bêtes des éleveurs hémas allaient brouter dans les champs des Lendus. Ce qui était un cassus belli, cela créait également des conflits. Le premier des conflits, plus ou moins violent, a surgi en 1911. Le Congo belge avait alors estimé que, pour résoudre cette question, il fallait créer des entités coutumières. Les chefferies d’une part et les secteurs de l’autre, qui existent toujours, pour les communauté puissent administrer leurs propres entités administratives.

Ce qui n’a pas du tout résolu le problème. Les disparités se sont davantage creusées à l’accession du pays à l’indépendance avec la loi foncière qui a été votée au milieu des années 1960. Elle a été suivie de la politique de zairinisation qui a profité aux Hémas, qui ont bénéficié de toutes les concessions laissées par les colons belges.

DW : Et pendant ce temps, une organisation prenait de l'importance dans le territoire d'Irumu...

Adolphe Agenonga Chober : Cette coopérative a existé sous le nom de Codeza : la Coopérative pour le développement du Zaïre. Elle a été à l’initiative de ceux qu’on appelait les « boys », donc les jeunes gens utilisés comme domestique par les colons. Ils avaient été séduits par l‘organisation des colons blancs et leur façon d’exploiter leurs concessions.

L’un d’eux, Bernard Kakado, souhaitait copier ce mode de vie. Notamment en créant une coopérative agricole. Donc pendant un certain temps, la Codeza a été une entité sociale, une entreprise sociale, qui contribuait aux problèmes de manque de nourriture. Seulement à la fin des années 1990, il y a eu un dérapage. Bernard Kakado avait décidé de s’imposer comme un chaman, un guérisseur d’esprit, un prophète. L’objectif était de prévoir la meilleure saison pour les semences ainsi que pour prévenir les attaques des ennemis. Donc, c’est durant cette période que bernanrd Kakado va contribuer à l’émergence d’une milice : la Force de résistance patriotique en Ituri, FRPI, qui est présente jusqu’à aujourd’hui en Ituri.

De nombreux villages gardent les stigmates du conflit du début des années 2000 comme ici, à Blukwa, dans le territoire de Djugu.
De nombreux villages gardent les stigmates du conflit du début des années 2000 comme ici, à Blukwa, dans le territoire de Djugu.Image : Paul Lorgerie/DW

En 2002, grâce au dialogue intercongolais de Nairobi, le gouvernement congolais s’était engagé à rétablir son autorité mais aussi à mette un terme à tous les crimes commis en poursuivant les seigneurs de guerre qui étaient nombreux. Ce pourquoi Bernanrd Kakado a été visé par un mandat d’arrêt en tant que chef du FRPI. En 2010, il a été condamné pour crime de guerre et il est mort une année plus tard à la prison de Bunia.

DW : Quel a été le rôle de la FRPI dans le conflit de 2000 ?

Adolphe Agenonga Chober :La FRPI était une milice dont les membres étaient les Lendus du sud, donc du territoire d’Irumu. Ils étaient alliés du Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI), composé de Lendu du nord, donc de Djugu. Tout ceci sur fond de tensios communautaires. A cette période, les mouvements rivaux étaient des mouvements hémas : l’UPC de Thomas Lubanga et de Pusic.

DW : Reste-t-il des stigmates de ce conflit ?

Adolphe Agenonga Chober : Le moins que l’on puisse dire est qu’il existe des violences intergénérationnelles. Les violences d’aujourd’hui sont la conséquence logique des violences vécues dans les années 2000. Le constat est que certain des combattants ou miliciens qui avaient opéré à cette époque sont revenus.

Le conflit actuel date de décembre 2017. A cette époque, on ne savait pas vraiment qui était à la base de ces violences. On parlait "d’assaillants" qui n’étaient pas identifiés. C’est seulement au début de l’année 2018 qu’un certain Justin Ngudjolo sort de l’ombre et signe un communiqué dans lequel il décline l’identité de son mouvement, l’URDPC, donc l’Union des révolutionnaires pour la défense du peuple congolais.

Ce mouvement se présentait comme une branche armée de la Codéco qui existait depuis comme une secte mystico-religieuse. Le 25 mars 2020, le chef de l’URDPC est tombé dans un guet-apens de l’armée dans lequel il sera neutralisé. C’est après sa mort qu’un conflit de leadership explose. Ce qui entrainera la fragmentation de la branche armée de la Codéco, donc de l’URDPC.

Aujourd’hui, il faut préciser que la structure de commandement de l’URDPC répond à des prédicateurs de la secte Codéco. Les différents commandants des Codeco sont soumis aux pasteurs qui leur fournissent des potions magiques, des gri-gri. Donc l’avenir des Codéco se joue également selon l’approche qu’adoptera le gouvernement envers ces sacrificateurs, qui je pense sont les personnes pertinentes avec qui parler. Ce qui pourrait alors faire plier les différentes branches de la Codeco.