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Achille Mbembe : "Celui qui va me manipuler n'est pas encore né"

Eric Topona5 mai 2021

L'intellectuel camerounais Achille Mbembe revient sur les propositions qu'il compte présenter à Emmanuel Macron au sommet Afrique-France de Montpellier.

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Nous recevons cette semaine Achille Mbembe, l’historien et politologue camerounais. Pour l’enseignant-chercheur en sciences politiques à l'Université de Witwatersrand à Johannesbourg, en Afrique du Sud, l’Afrique devrait d’abord mettre ses affaires en ordre pour que le reste du monde ne s’y intéresse pas. Cela éviterait les ingérences comme celle du président français au Tchad. Mais cela suppose, selon lui, une ouverture démocratique. Il revient aussi sur le sommet Afrique-France prévu cet été au cours duquel il va rencontrer Emmanuel Macron. Achille Mbembe est interrogé par Eric Topona.

***

Bonjour Achille Mbembe. On connaît votre engagement contre le post-colonialisme et surtout pour l'émancipation de l'Afrique. Or, ces derniers temps en Afrique, la France est fortement critiquée pour son soutien aux dictatures, aux dictateurs sur le continent. Est-ce qu’Emmanuel Macron n'a pas un peu déçu ceux qui croyaient en lui ?

C’est au président Macron qu’il faut poser ces questions. Moi, ce qui m'intéresse, c'est de voir dans quelle mesure nous pouvons mettre nos affaires en ordre pour que le reste du monde ne s'y intéresse pas. Parce que très souvent, lorsque le monde extérieur intervient chez nous, il nous complique la vie. Cela suppose une ouverture politique chez nous. Or, les régimes de dictature, les tyrannies qui se multiplient en Afrique, en plein 21ème siècle, constituent effectivement des facteurs de désordre et des facteurs d'instabilité. Là où il y a l'instabilité dans le monde d'aujourd'hui, là où il y a le vide, cela attirera des gens qui ne sont pas nécessairement mus par des motifs de bienfaisance.

 

DW : Achille Mbembe, vous avez accepté de dialoguer avec le président français Emmanuel Macron, lors du prochain sommet Afrique-France qui aura lieu l'été prochain à Montpellier. Pourquoi avoir accepté ?

Mais parce que c'est un projet de bon sens. C'est un projet dont l'objectif général est de refonder les rapports entre l'Afrique et la France. C'est quelque chose pour lequel nous luttons depuis, je dirais 60 ans. Je n'inclus pas la période coloniale. Les Africains disent il faut transformer. Nous en voulons d'autres. On a là une petite fenêtre - je ne parle pas d'une grande porte – c’est une toute petite fenêtre pour effectivement articuler notre volonté. On peut faire la même chose avec la Chine qui est en train d'arriver. On peut faire la même chose avec la Russie. Il faut savoir occuper les failles.

 

DW : Au cours du prochain sommet Afrique-France de Montpellier. Il y aura une séance plénière, le 9 juillet, avec un échange entre vous et le président français Emmanuel Macron. Est-ce que vous allez lui relayer les attentes et les espérances des jeunes Africains ?

C'est plus que des attentes. L'attente veut dire je suis là, je croise les bras. Et puis, la manne tombe du ciel. C'est plus que des espérances. Ce sont des propositions et on les mettra sur la table. On en discutera avec le président Emmanuel Macron et on aura une feuille de route pour en assurer le suivi. C'est ça l'objectif. Alors pour tous ceux qui ne veulent pas dialoguer, qui disent : "Non, non, non. On va vous enfariner, on va vous manipuler, on va vous instrumentaliser ". Je pense qu'ils n'ont pas confiance en eux-mêmes. Moi, la personne qui va me manipuler, elle n'est pas encore née. Et donc, le travail d'accompagnement que font des philosophes comme Souleymane Bachir Diagne, des économistes comme Kako [Nubukpo], des architectes comme David Adjayé, le comité que j'ai mis en place… Ce sont les meilleurs Africains dans leur domaine du point de vue international. Si vous me dites qu'on peut manipuler tous ces gens-là, qu'on peut les rouler dans la farine, je vais rire. Ça veut dire vous n'avez pas confiance en vous même.

 

DW : En mars dernier a été remis à Paris au président Emmanuel Macron un rapport sur la responsabilité de la France dans le génocide rwandais de 1994. Quel est votre point de vue, justement, par rapport aux conclusions du rapport Duclert ?

Mais je pense que c'est une très bonne chose, un bon travail que les historiens ont accompli et qu’il faut maintenant s'occuper des conclusions auxquelles ils sont parvenus et réparer tout ce qui peut encore être réparable.

 

DW : Est-ce qu'il n'est pas temps que la France présente ses excuses officielles au Rwanda pour espérer refonder la coopération?

Je n'en sais rien. Franchement, je ne sais pas du tout si les excuses sont la meilleure réponse à apporter à ce qui s'est passé et à ce que l'on sait maintenant. Peut-être qu'il y a des choses plus importantes que les excuses. Peut être que la justice est beaucoup plus importante que les excuses. Peut être que la réparation est plus importante que les excuses.

 

DW : Comment faire selon vous pour régler le problème des interventions militaires étrangères en Afrique, précisément les interventions militaires françaises en Afrique?

Il y a plusieurs manières de régler ce problème des interventions militaires à répétition. Une chose, c'est d'investir énormément dans la prévention des conflits parce que en traitant les conflits en amont, on diminue la probabilité d'intervenir en aval. Les interventions militaires, par exemple, dans le cadre du maintien de la paix, devraient nécessairement être ratifiées par les institutions africaines elles-mêmes.

 

DW : Merci beaucoup Achille Mbembe pour cet entretien.