1. Aller au contenu
  2. Aller au menu principal
  3. Voir les autres sites DW

En Équateur, quand le pétrole rime avec développement

Sébastien Martineau19 février 2013

Pauvreté en baisse, construction de routes, d'écoles, d'hôpitaux... L'Équateur a obtenu de bons résultats ces dernières années en s'appuyant sur les revenus du pétrole. Gros plan sur la méthode équatorienne.

https://p.dw.com/p/17f6P
Quito, la capitale de l'Équateur
À Quito, les transports en commun se développent. Un métro est en projetImage : picture-alliance/Jane Sweeney/Robert Harding

L'Équateur, c'est un peu plus de 15 millions d'habitants sur un territoire grand comme la moitié de la France. Une capitale, Quito, perchée à 2.800 mètres d'altitude dans une vallée de la cordillère des Andes. Un grand port sur l'océan Pacifique, Guayaquil. De la pêche, aux crevettes notamment, et une agriculture qui exporte beaucoup : bananes, cacao, café, fleurs...

Landwirtschaft Projekte in Ecuador Südamerika
L'agriculture est aussi l'un des grands atouts de l'économie équatorienneImage : CRIC, Terranueva

C'est aussi un produit intérieur brut par habitant de 8.800 $ en 2012, en parité de pouvoir d'achat, ce qui place le pays entre la Tunisie et la Namibie. Au classement de l'Indice de développement humain, mis au point par le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), l'Équateur est 84e mondial, légèrement en-dessous de la moyenne sud-américaine.

C'est aussi un pays producteur de pétrole, membre de l'OPEP. L'Équateur produit environ 500.000 barils par jour. Une rente confortable mais pas gigantesque. En comparaison, son voisin, le Venezuela, produit plus de 2 millions et demi de barils par jour.

Le dollar comme monnaie

Aujourd'hui, on constate des progrès nets dans la plupart des domaines qui, combinés, contribuent au développement d'un pays. Santé, éducation, salaire minimal, infrastructures... L'Équateur change et vite, alors que le pays était à genoux au début des années 2000, au sortir d'une crise qui a emporté une bonne partie des banques et la monnaie équatorienne, le sucre, remplacé par le dollar américain.

On construit des routes. Un métro est en projet à Quito, un tramway va être installé à Cuenca, plus au sud. Certains signes ne trompent pas, estime l'économiste Stephan Küffner, correspondant indépendant pour plusieurs médias internationaux. Il est installé à Quito :

« Si on regarde les téléphones cellulaires, si on voit l'internet. Il y a dans les villes un accès généralisé. Il y a vraiment un développement. »

Ecuador Rafael Correa
L'opposition reproche au président Rafael Correa son style autoritaire, et ses attaques contre la presseImage : Reuters

Et ces changements rapides dans la société ne se font pas sans créer quelques problèmes dans la capitale. « Il y a énormément de voitures nouvelles et les vieilles routes de la ville ne sont pas organisées pour supporter ce genre de trafic, constate Stephan Küffner. On voit aussi beaucoup de constructions nouvelles, donc ça veut dire qu'il y a des problèmes d'infrastructures en général dans les villes. Mais ce sont des problèmes généralisés du progrès en Amérique latine. »

La méthode Correa

Des problèmes que certains pays aimeraient bien avoir. Mais cette évolution ne tient pas au hasard. Plusieurs changements importants ont eu lieu en Équateur depuis la crise des années 1990, et en particulier depuis l'arrivée au pouvoir en 2007 de l'économiste Rafael Correa et de sa "révolution citoyenne".

Hostile aux milieux politiques traditionnels, au néolibéralisme et à l'hégémonie des États-Unis, partisan d'un mode de développement alternatif, plus respectueux de la nature, le "Buen vivir" - le vivre bien - Rafael Correa a notamment renégocié les contrats avec les compagnies pétrolières étrangères.

Résultat, celles-ci doivent désormais verser 80% de la rente à l'État. La manœuvre n'a bien sûr pas fait que des heureux. Plusieurs compagnies ont quitté le pays, notamment l'Américaine Oxy et la Franco-britannique Perenco.

Autre mesure très médiatisée : la renégociation de la dette équatorienne. Rafael Correa a en effet imposé un moratoire sur une partie de cette dette, qu'il jugeait illégitime.

Des milliers de familles sortent de la pauvreté

Grâce à ces nouvelles ressources - et porté par les cours élevés du pétrole - l'État, qui avait perdu une grande partie de ses prérogatives au cours de la décennie précédente, a regagné des moyens, et du personnel. Priorité a été donnée à la lutte contre la pauvreté, à la santé et à l'éducation.

Depuis 2007, 60 milliards de dollars ont été consacrés aux dépenses sociales. Et l'effet sur la pauvreté est très net, comme le confirme Jean-François Claverie, responsable de l'Observatoire des changements en Amérique latine : « D'après les chiffres de la CEPALC [Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes,], qui ne sont pas les chiffres de la propagande équatorienne, on est passé de 51 ou 52% de taux de pauvreté à 28%, ce qui est considérable en 6 ans. »

Galapagosinseln
Les îles Galapagos attirent des touristes du monde entierImage : AP

Autre priorité : le maintien d'une agriculture forte, pour assurer au moins partiellement une souveraineté alimentaire. « Je citerais en contre-exemple le Venezuela, poursuit Jean-François Claverie, où malgré les ressources faramineuses en pétrole, puisque ça correspond je crois à 85% du PIB vénézuélien, eh bien plus de la moitié de l'alimentation au Venezuela est importée. »

Une corruption profondément ancrée

La manne pétrolière profite donc à la population. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas du tout de corruption. Au contraire, l'Équateur est gangréné par les mauvaises pratiques. Selon l'indice de perception de la corruption, publié par Transparency International, le pays est 118e mondial, au même niveau que Madagascar.

Mais pour Jean-François Claverie, Rafael Correa s'est attelé au problème et continue à le faire : « Il essaye de lutter. Bien évidemment il en reste encore de la corruption... Il a multiplié par trois par exemple les salaires des policiers. Les salaires des policiers qui sont une des bases de la corruption en Amérique latine... »

Une économie encore fragile

Mais que se passerait-il si les cours du pétrole s'effondraient ? Le pays est-il suffisamment solide pour encaisser un tel choc ? Stephan Küffner est convaincu que non :

« Non malheureusement, l'Équateur n'est pas du tout préparé. À la différence de la Norvège ou du Chili, où on s'est préparé avec des fonds spéciaux au cas où le prix des exportations primaires s'effondre. L'Équateur n'a plus de réserves pour se confronter à une telle situation. Aussi, parce que l'Équateur a presque coupé les contacts avec le Fonds monétaire international, il serait difficile politiquement de se rapprocher de cette institution pour chercher de l'aide. »

Yasuni National Park in Ecuador
Le parc Yasuni est situé dans l'est de l'Équateur, dans une région couverte par la forêt tropicaleImage : picture-alliance/dpa

Jean-François Claverie, de son côté, estime qu'il faut donner du temps aux autorités équatoriennes pour préparer l'avenir, dans ce pays qui a connu de longues périodes d'instabilité politique. Il souligne notamment que l'éducation supérieure et la recherche bénéficient actuellement d'un fort soutien de l'État.

Le pétrole sous l'Amazonie

Rafael Correa s'est aussi fait connaître par un projet étonnant, le projet Yasuni, du nom d'une réserve naturelle sous laquelle on a découvert d'importants gisements de pétrole. L'Équateur a proposé de ne pas exploiter ces réserves, si la communauté internationale s'engage à compenser financièrement les pertes. Objectif : préserver la nature et la biodiversité de ce bout d'Amazonie. Mais jusqu'à présent, le fonds est très loin d'avoir rassemblé les 3,6 milliards de dollars espérés.

Par ailleurs, certaines voix critiquent les contradictions du gouvernement Correa en matière de respect de la nature. Si Yasuni semble pour le moment épargné, d'autres zones de forêt tropicales vont prochainement voir s'installer des compagnies pétrolières.

Le secteur minier inquiète également les ONG et les populations indigènes. Et il y a de bonnes raisons à cela, selon Stephan Küffner :

« En Équateur, en Colombie, au Pérou... ce sont les pays qui sont les plus contaminés avec le mercure et là on n'a presque rien fait. Ça fait 6 ans que le gouvernement dit qu'il veut moderniser l'industrie minière avec d'importants investissements dans le secteur, investissements canadiens, chinois... mais presque rien n'a réussi jusqu'à maintenant. »

Négocier avec l'Europe et rassurer les investisseurs

Le prochain gouvernement équatorien ne manquera donc pas de travail. Il doit par ailleurs poursuivre les négociations sur un accord de libre-échange avec l'Union européenne. Plusieurs de ses voisins ont déjà signé des accords similaires, ce qui risque d'handicaper le commerce équatorien. Mais Quito ne veut pas d'un texte qui ouvrirait son marché à une concurrence trop soutenue, et on pense notamment aux produits agricoles européens subventionnés par Bruxelles.

L'Équateur va devoir aussi rassurer les investisseurs étrangers, refroidis par la réforme pétrolière et le discours souvent offensif de Rafael Correa vis-à-vis des puissances occidentales. Le pays a besoin de capitaux s'il veut diversifier son économie.

L'Équateur immunisé contre la malédiction du pétrole ?