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Football et prostitution

Sandrine Blanchard18 mai 2010

L'Afrique du sud craint un regain de la prostitution. Des ONG préparent les enfants à ne pas se laisser prendre au piège durant la Coupe du monde.

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Image : picture alliance/dpa

Une quinzaine d'élèves se sont rassemblés dans la petite salle de réunion. Les fenêtres ont été calfeutrées et, malgré l'heure matinale, il fait déjà une chaleur étouffante. Nous sommes à Durban, au bord de l'océan indien. Au lieu de profiter de leurs vacances scolaires pour batifoler dans l'eau, ces jeunes ont été envoyés par leurs parents assister à une réunion d'information du « Groupe des jeunes Sud-Africains préoccupés » (CYPSA). La plupart des élèves de l'assistance sont des filles, le groupe cible de la manifestation organisée par Bongiwe Mthethwa. En tant que présidente de l'ONG, elle sillonne le pays depuis plusieurs mois, afin d'expliquer aux jeunes les dangers auxquels ils risquent d'être exposés pendant la Coupe du Monde de football 2010. Depuis que le pays sait qu'il accueillera la compétition internationale, Bongiwe et son équipe ont déjà organisé un millier de réunions similaires, avec, toujours, un thème central : comment se protéger des trafiquants d'enfants ? « Soyez méfiants si on vous propose à boire, les boissons pourraient contenir des drogues », explique une membre de l'association aux enfants. Ces explications, elle les donne en zoulou pour être certaine d'être comprise de tous.

Prostitution und Menschenschmuggel Südafrika
Bongiwe Mthethwa du CYPSAImage : DW

Premiers enlèvements signalés

Un appareil-photo au poing, les trafiquants traquent les jeunes filles dont ils comptent vendre les services aux visiteurs qui viendront pour la Coupe du monde. Bongiwe le sait bien : « les proxénètes vont surtout dans les villages et dans les régions les plus pauvres, où ils enlèvent des jeunes filles ». Celles-ci seront particulièrement vulnérables durant le championnat, du fait des vacances extraordinaires décrétées pour l'occasion par les autorités. Au lieu d'être en sécurité sur les bancs de l'école, les jeunes seront dans la rue. « Si c'était possible, nous aimerions les mettre à l'abri, dans un endroit hors d'Afrique du sud, pendant toute la durée de la compétition », explique Bongiwe.

Prostitution und Menschenschmuggel Südafrika
Mandisa a connu l'horreurImage : DW

Lors des rencontres organisées par le CYPSA, Mandisa est assise au premier rang. Âgée de 24 ans, elle est « Peer educator », une sorte de tutrice chargée de partager son expérience avec des jeunes de son âge. Mandisa a en effet vécu ce que la réunion veut éviter aux jeunes participantes : elle a été enlevée par un homme en pleine rue, enfermée dans une maison où elle a été violée, avant d'être réduite à l'état d'esclave sexuelle. « Il m'a droguée, j'étais complètement groggy », raconte la jeune fille. « J'étais dans une chambre où je devais coucher avec ses clients ». Mandisa a eu de la chance dans son malheur puisqu'elle a fini par s'échapper.

40 000 prostitué(e)s supplémentaires

A en croire les chiffres des autorités sud-africaines, aux mois de juin et juillet, durant la Coupe du monde, le pays risque de voir déferler des visiteurs débordants d'appétits sexuels : 40 000 prostitué(e)s supplémentaires seront sollicité(e)s, y compris en provenance de pays voisins. Depuis son ouverture démocratique en 1994, l'Afrique du sud est en effet devenue une plaque tournante du trafic d'êtres humains, et de l'avis de la police, le Mondial est une occasion en or de faire des affaires pour les malfrats.

Prostitution und Menschenschmuggel Südafrika
"Sweat": Sex Workers' education and advocacy task force à DurbanImage : DW

Certaines associations comme SWEAT estiment toutefois que ces scénarios catastrophes sont très exagérés. SWEAT est un regroupement de prostituées de la ville du Cap qui, à l'instar de Durban, est une ville portuaire et touristique et donc, un centre de l'industrie sud-africaine du sexe. « La plupart des femmes décident volontairement de devenir travailleuses du sexe », assure la présidente de SWEAT, Vivienne Lalu. Elle déplore que les pronostics alarmants de la police sur le trafic d'êtres humains et la prostitution forcée n'aillent pas, loin s'en faut, dans le sens d'une meilleure prévention ou d'une plus grande protection juridique des femmes concernées. L'Afrique du Sud a beau s'être dotée de l'une des constitutions les plus permissives du monde, elle condamne toujours la prostitution, aujourd'hui encore régie par des lois issues de l'Apartheid. SWEAT et d'autres ONG ont vainement tenté de modifier l'appareil juridique avant la Coupe du monde. Elles espèrent désormais qu'un moratoire sera instauré durant la compétition.

« Legalize it! »

Les partisans d'une légalisation de la prostitution mettent en avant les statistiques concernant le VIH-sida : un cinquième des nouvelles infections dans le monde ont lieu en Afrique du sud et un millier de personnes meurent quotidiennement de cette maladie dans le pays. Cette situation inquiétante est notamment due au fait que les travailleurs du sexe échappent aux campagnes d'information sur les modes de contamination, de prévention de la maladie et de promotion des pratiques plus sûres du « safe sex ».

Kinder und Aids, Aids Waisen in Südafrika
Orphelins du sida à Katlehong, en Afrique du sudImage : dpa

« Décriminaliser la prostitution serait une bonne chose en matière de prévention sanitaire et pour endiguer la propagation du sida », Vivienne Lalu en est persuadée. Elle compare la situation à celle de l'Allemagne, hôte de la Coupe du monde 2006 : « Chez vous aussi, on a fait entrer exprès 40 000 prostituées dans le pays. Et finalement, on n'a pas pu confirmer plus de cinq cas. »

L'occasion de faire fortune?

Ray est l'une des quelque 1200 prostituées du Cap. Elle explique qu'elle fait le trottoir « de son plein gré », malgré la dureté du travail et une police presque aussi enragée que certains clients, surtout en cette période. « Je compte bien gagner pas mal d'argent durant le Mondial », déclare Ray du haut de ses 47 ans, « mais j'ai peur des descentes de police qui vont nous mener la vie dure. » Sans oublier les difficultés intrinsèques du métier, que Ray souligne d'un sourire : « Et puis je vais aussi devoir affronter la concurrence venue des autres pays ».

Sexe et football - le mélange risque une nouvelle fois de bien fonctionner durant cette Coupe du monde. Reste à savoir si Ray et les autres prostitué(e)s devront rester dans l'illégalité et échapper ainsi aux institutions sanitaires. Les groupes de pression tels que SWEAT n'espèrent pas de grand soutien de la part du président Zuma, lui-même poursuivi pour viol et qui avait déclaré en 2009 devant la justice qu'il s'était contenté de « prendre une douche » après un rapport sexuel pour s'assurer de ne pas être contaminé par le VIH. Quoiqu'il en soit Ray continue de rêver : « J'attends avec impatience le début de la Coupe du monde. J'espère que je trouverai un copain venu d'outre-Atlantique qui m'emmènera chez lui. »

Auteurs: Ludger Schadomsky/Sandrine Blanchard
Edition: Anne Le Touzé