"Il faut parler avec tout le monde quand c'est possible", Mathias Mogge (Agro-action allemande, 2/2) | PROGRAMME | DW | 23.07.2019
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PROGRAMME

"Il faut parler avec tout le monde quand c'est possible", Mathias Mogge (Agro-action allemande, 2/2)

Second volet de l'entretien avec Mathias Mogge, président de la Welthungerhilfe (Agro-action allemande) et membre du directoire de VENRO : est-ce que les humanitaires peuvent intervenir dans tous les pays, quel que soit le régime en place? Existe-il un devoir d'ingérence humanitaire?

Pour écouter l'audio, cliquez sur la photo ci-dessus. 

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Mathias Mogge : Je crois que des deux côtés, il faut changer. Les Européens doivent considérer les partenaires africains avec beaucoup plus de sérieux qu'avant mais les Africains aussi - si on peut parler des "Africains" en général - doivent aussi voir qu'une continuation de la même politique n'est pas acceptable dans beaucoup de pays.

Par exemple, récemment, au Soudan, les citoyens ont montré au gouvernement qu’il fallait changer : « Nous voulons un gouvernement civil qui respecte les droits des citoyens et qui travaille pour les citoyens et non pour sa propre poche ».

DW : L'Allemagne prône le partenariat d'égal à égal. Et pourtant il y a des sanctions qui sont prévues - en tout cas des conditions à l'aide qui sont posées. Est-ce qu'on peut dire qu’on parle d'égal à égal mais que c'est quand même moi qui dicte les règles du jeu et qui impose des réformes en matière de « gouvernance », de lutte contre la corruption ? Est-ce que ça peut marcher comme ça ?

Mathias Mogge : Je crois que ça peut marcher. Si par exemple on travaille avec les objectifs des institutions africaines comme le plan 2063 de l'Union africaine ou beaucoup de ces principes des droits de l'homme, par exemple, sont inscrits.

Et je crois que si on trouve un accord entre les objectifs des pays africains avec les objectifs de la politique européenne ou de l'Allemagne, là on peut mieux travailler ensemble.

Une autre élément qui est très important pour nous en tant qu’organisation humanitaire, est qu'il ne faut pas oublier les pays qui ne sont pas encore peut être prêts ou qui n'ont pas introduit des réformes nécessaires, peut-être pour des raisons de conflits ou d’autres raisons parfois difficiles à comprendre, et qui sont complètement en dehors d'une telle coopération. Quant aux organisations de la société civile, il faut continuer d'investir, parce que sans investissement et sans la présence aussi de la coopération, il y a une exclusion de ces pays du développement. Et ça, c'est encore peut-être plus difficile.

DW : Quand on se renseigne un peu sur votre domaine d'action, il y a deux mots qui reviennent constamment c'est ambiguïté et dilemme. Souvent, deux exemples sont cités comme celui de la Corée du Nord qui rejoint un petit peu ce dont vous parliez à l'instant où l’Erythrée en Afrique ; des Etats qui sont totalement fermés. Le problème qui se pose : est-ce qu'on y va quand même par une sorte de devoir d'ingérence, de devoir d'aide humanitaire au nom des droits de l'homme ? Ou est-ce qu'on refuse d'y aller parce que sinon on risque d'aider le système à se perpétuer car si les gens vont mieux, ils ont moins de chance de voir changer leur paysage politique...

Mathias Mogge : Ce que moi, en tant que responsable d'une organisation, j’observe toujours est que la population est très souvent punie par des gouvernements qui sont tellement restrictifs et autoritaires que la population n'a pas la possibilité de bouger ou de recevoir les services essentiels pour leur vie comme la santé, l’éducation, l’habillement etc.

Je crois que nous avons la responsabilité humanitaire de prendre charge et de nous occuper des populations malgré un gouvernement qui peut être brutal et qui ne respecte les droits des gens.

Peut-être que pour ce qui est de la coopération officielle d'un Etat comme l'Allemagne ou comme l'Union l'Union européenne, c'est un peu différent parce que l'UE travaille toujours au niveau gouvernemental, diplomatique. Pour une organisation non gouvernementale comme nous, c'est parfois plus facile.

C'est pourquoi nous recevons aussi de l'argent de l'Allemagne pour ses projets humanitaires comme en Corée du Nord. Nous sommes en train d'essayer de travailler en Erythrée. On n'a pas encore une autorisation mais moi, personnellement, je pense toujours que c'est mieux de rester en contact. Et de démontrer aussi que l'on exerce la solidarité avec ces pays, et avec leur population, même si on n'est peut-être pas d'accord avec la façon dont un pays est gouverné.

DW : Vous avez été en poste à Bamako, au Mali, donc vous connaissez bien ce pays et la sous-région. Est-ce que ce que vous venez de dire sur la Corée du Nord ou l'Erythrée, ça vaut aussi pour les zones de conflits comme il y en en ce moment au Mali, c'est-à-dire des zones où ce n'est pas forcément l'Etat qui commet des exactions mais des groupes armés, des groupes terroristes ou des bandits ? Est-ce que là aussi, les humanitaires se doivent d'y aller… quitte à discuter avec ces gens-là ? Bref : est ce qu'on peut parler avec tout le monde ?

Mathias Mogge : On ne peut pas comparer la Corée du Nord avec les pays du Sahel ! C'est complètement différent. Vous savez, il y a des groupes militaires, des groupes armés qui exercent et qui génèrent des conflits dans ces pays. Ils sont responsables du déplacement de beaucoup de gens.

La responsabilité dans ces pays, pour nous, est surtout de sauver la vie des populations, de les soulager et d'améliorer la vie des populations déplacées qui souffrent le plus des conflits. Et troisièmement, d'essayer là où c'est possible de contribuer à une amélioration sur le long terme de la vie de la population.

DW : Oui mais pour intervenir à Mopti, pour intervenir même au pays Dogon, pour intervenir à Tombouctou encore il y a quelques années… il faut aussi parler avec les autres acteurs. Le gouvernement n'est même plus présent à Kidal, il n’y a plus de gouverneur en poste. Vous vous êtes bien obligés de parler aux gens qui font régner la loi  - ou leurs lois - là bas…

Mathias Mogge : Ça c'est vrai. Il faut parler  -et on le fait aussi là où c'est possible - parce qu’il y a deux facteurs clés : le facteur sécurité de notre personnel propre et aussi le facteur sécurité pour nos partenaires.

La situation n'est pas bonne et chaque jour, il y a des humanitaires et des civils qui se font tuer dans des attaques, des attentats etc.

DW : Par le passé, des difficultés ont émergé à cause des répercussions d’une aide humanitaire prodiguée en ayant sans doute été mal préparée, où on a trop peu analysé soit le contexte soit les structures sociales. Je pense notamment à des problèmes de déplacés ou de réfugiés qui ont été installés dans des camps et dans lesquels des gens recevaient de l'aide, et les riverains qui, eux, n'étaient pas dans le camp mais habitaient dans ces régions-là se sont plaints parce que les réfugiés avaient de l'électricité, de l’eau, à manger, alors qu’eux non. Comment est ce que ça se gère maintenant ? Quel est le changement d'approche pour éviter de reproduire ces erreurs-là d’une l'alimentation des conflits du fait de la présence de l'aide. Comment ça se prépare maintenant ?

Mathias Mogge : Il faut toujours une analyse très détaillée de la situation et des acteurs qui sont sur place.

Nous essayons de soutenir aussi la population qui est déjà là et nous sommes toujours en contact avec nos bailleurs de fonds qui ne sont parfois aussi pas tellement prêts à supporter la population localem parce que les moyens - il faut le dire clairement - sont très limités.

DW : Comment choisit-on les bénéficiaires de l’aide ?

Mathias Mogge : En général, on travaille étroitement avec les responsables de la communauté, avec la mairie. Normalement, on crée un comité de sélection qui est bien sûr composé par des femmes, des hommes, des notables, des jeunes pour avoir une bonne représentation.

Ce sont eux qui suggèrent normalement en dressant une liste qui sont les personnes qui ont besoin de l'aide. Bien sûr, les professionnels de notre organisation vérifient si la liste est vraiment correcte et si on n'a pas écarté certaines gens qui devraient être sur la liste ou pas contre si on trouve des gens sur la liste qui ne devrait pas y figurer.

DW : Et vous, Matthias Mogge, comment est-ce que vous avez choisi la faim ? De lutter contre la faim, et non pas lutter contre la peine de mort ou lutter pour une autre cause ?

Mathias Mogge : Peut être parce que je suis horticulteur de formation, agriculteur de profession. C'est ma passion et c'est pourquoi en effet cette organisation était un endroit où je pouvais vivre mes expériences professionnelles et en même temps mes convictions personnelles. Pour changer quelque chose, en faveur du bien dans le monde.

Des propos recueillis par Sandrine Blanchard

Pour écouter la première partie de l'entretien, cliquez ci-contre:

"Il faut prendre l'Afrique plus au sérieux" (Agro-action allemande, 1/2)