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Info ou Intox : des Chinois cannibales arrêtés en RDC ?

Rémy Mallet
4 août 2021

Une photo publiée sur les réseaux sociaux semblait montrer des ressortissants chinois arrêtés par la police pour kidnapping et cannibalisme. Mais c'était un faux.

https://p.dw.com/p/3yVTc
Screenshot Twitter Aminata Kasa DR Kongo
Capture d'écran. Image : twitter.com/aminata_kasa

En République démocratique du Congo, des informations selon lesquelles des Chinois auraient été arrêtés pour avoir participé à des kidnappings d’enfants en vue de les manger circulent dans plusieurs groupes WhatsApp. Et ce, depuis plusieurs jours.

Dans ces groupes WhatsApp, les messages vont jusqu’à préciser dans les détails le nombre de ressortissants chinois “arrêtés” pour des supposés faits de cannibalisme : il s’agirait de 73 personnes interpellées.

Depuis le 2 août, une image censée être celle de ces Chinois interpelés (ils ne sont pas 73 sur la photo mais une douzaine et portant tous la même veste orange et bleue) montrait en effet des Asiatiques accroupis, mais non menottés, dans un couloir et encadrés par un seul policier ou militaire.

Cela ne ressemblait donc déjà pas forcément à l’image d’une arrestation.

Ce cliché apparaît pour la première fois sur la toile dans une vidéo Youtube postée par le compte Desho Denard TV. C’est ce qui ressort d’une recherche d’images inversée sur Google.

Sur le réseau social Twitter, on retrouve l’une des premières traces de cette image sur le compte Twitter de Honore Mvula, qui l’a partagée plus à ses plus de 75.000 abonnés, avant de se résoudre à la supprimer.

Contacté, le responsable du parti Force des patriotes, proche du président congolais Félix Tshisekedi, indique ne pas connaître l’auteur de la photo, d’où son choix de la retirer.

Comme plusieurs Congolais, ce message lui a été transféré dans un groupe WhatsApp privé. Mais le mal était déjà fait. Plusieurs internautes ont posté le même message, certains lui attribuant la paternité des faits. 

Incohérence dans la photo et la description 

Avant le 2 août, aucune version plus ancienne de cette image n’a pu être retrouvée sur la toile. Il n’est donc pas possible d’affirmer qu’il s’agit d’une vieille photo récupérée pour les besoins d’une désinformation.

De plus, les données Exif (exchange image file : un ensemble d’informations relatives à chaque photo) ne laissent pas transparaître une quelconque retouche ou un montage de la photo.

Cependant, il est frappant de voir que seulement une douzaine de personnes apparaissent sur le cliché.

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Autre point qui devrait interpeller : le sourire sur le visage de l’homme, apparemment un Africain, accroupi au fond du couloir, en face du policier ou soldat. Cette attitude détendue semble contraster avec la gravité des faits qui seraient reprochés à ces ressortissants chinois.

Dans la foulée de cette affaire, la Compagnie minière de Musonoï (Commus), une entreprise chinoise, a publié un communiqué pourdémentir les accusations de détention et d’arrestations de ses employés pour des motifs de kidnappings.

Des Chinois mis en cause dans une vidéo

Il s’agirait donc d’employés chinois de cette compagnie. Celle-ci d’ailleurs ne nie pas le fait qu'il s'agit de ses salariés sur le cliché. Mais elle précise que ceux-ci n’étaient pas là pour les faits relayés sur les réseaux sociaux. En clair : ils n’ont pas été arrêtés pour des accusations d’enlèvements voire de cannibalisme.

Mais ils auraient tout de même été entendus dans le cadre d'une autre enquête sur des faits de violences physiques qui n'ont rien à voir avec des enlèvements.

L’image aurait été ainsi prise "pendant que les employés de Commus participaient à l'enquête auprès du parquet provincial de Lualaba", peut-on lire dans le communiqué.

"Le parquet avait besoin des sujets chinois qui apparaissaient dans une vidéo où les forces de l'ordre frappaient les creuseurs clandestins sur le site de Commus", confirme une source interne à l'entreprise, qui a requis l'anonymat.

En effet, deux militaires congolais ont été condamnés le 23 juilletaprès avoir été reconnus coupables de coups et blessures sur des creuseurs artisanaux, au sein de l'entreprise Commus. Trois Chinois ont aussi été condamnés pour leur complicité dans cet incident, à la suite de cette vidéo devenue virale. 

« Doutes » et « manipulations » sur les accusations de cannibalisme

Selon toute vraisemblance, la photo qui circule en ce moment serait donc liée aux auditions conduites pour les besoins de l'enquête sur la vidéo dans laquelle les militaires frappaient des creuseurs artisanaux, en présence d’employés chinois. 

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Cette audition des travailleurs chinois s’est déroulée le 21 juillet dernier, au parquet de la ville minière de Kolwezi, chef-lieu de la province de Lualaba, dans le sud-ouest de la RDC, selon une source interne de l'entreprise. 

Cette information est aussi confirmée par Jules Odimba, journaliste à Kolwezi, présent au parquet ce jour-là. "J'ai couvert cet évènement, j'étais là le jour où les Chinois ont été arrêtés. Cela s'est passé au tribunal civil, près la Cour d'appel de Kolwezi. Ils étaient une dizaine. Ils ont été arrêtés pour les besoins de l'enquête parce qu'ils étaient présents au moment des faits. Il y a une personne qui a pris la photo et en a fait un mauvais usage. Cela n'a rien à voir avec ce qui se dit dans les réseaux sociaux", confie-t-il. 

La photo ne serait donc pas liée à une affaire de cannibalisme ou d'enlèvement visant les travailleurs chinois. C’est aussi ce qu’estime le porte-parole de la police du Haut-Katanga.  

"Cette situation n’a pas été signalée par des sources sûres et concordantes. J'en doute fort. Je ne peux pas confirmer. Ça ressemble à de la manipulation. Ce n’est pas correct", a dit le capitaine Charles Lwamba à la DW.

Joint par la DW, le Procureur Général près la Cour d’Appel du Lualaba, Ilunga Mwela Arthur, est catégorique : "C'est faux. L'audition des Chinois en date du 21/07/2021 était relative aux violences infligées aux creuseurs artisanaux clandestins des susbstances minérales. Au Lualaba, il n'y pas eu une ouverture de dossier pour cannibalisme. Ces images sur les réseaux sociaux ont été prises le jour où plusieurs d'entre eux étaient interpellés dans le cadre du dossier."

Multiplication des enlèvements 

En conclusion, il apparait que cette histoire d'enlèvement d'enfants et de cannibalisme est une fausse information et que la photo relayée était liée, sur la base des sources que nous avons contactées, à une précédure judiciaire toute autre.

Cette propagation d'une fausse information s'explique sans doute par le fait qu'en RDC, les enlèvements d'enfantsse sont multipliés ces derniers mois, particulièrement dans le Haut-Katanga.

Selon l’Onu, "au cours du seul premier trimestre 2021, plus de 3.400 violations contre des enfants (telles que des recrutements dans des groupes armés, des enlèvements ou des exécutions) ont été confirmées, soit 64 % du nombre total de violations enregistrées sur l’ensemble de l’année 2020."

Ce contexte expliquerait de telles accusations, visant notamment les Chinois. Et ce n’est d'ailleurs pas la première fois. Depuis 2017, des montages d’images assurent que des cannibales asiatiquesauraient pignon sur rue dans plusieurs pays africains. 

"Ces images nous apprennent que les fake news sont instrumentalisées à des fins politiques, surtout en RDC qui est politiquement polarisée", estime Qemal Affagnon, responsable pour l'Afrique de l'Ouest de l'ONG Internet Sans Frontières et consultant au programme de lutte contre la désinformation, Info/tegrity . A l'en croire, il faut "craindre que de telles pratiques se renforcent et soient davantage complexes, en raison notamment de l'évolution des technologies de l'information et de la communication." Dans un tel contexte, il appelle à "rester vigilant et faire preuve de prudence." 

 

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