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Le récit d'un survivant

Anne Le Touzé4 avril 2014

Pendant le génocide, François Kabagema s'est caché pendant des semaines dans la bibliothèque de l'ambassade de France. Le chauffeur de taxi de 49 ans raconte aujourd'hui son histoire.

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François Kabagema, chauffeur de taxi et survivant du génocide
François Kabagema, chauffeur de taxi et survivant du génocideImage : DW/A. Le Touzé

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François Kabagema a bien du mal à reconnaître son ancien quartier de Gikondo, sur une colline de Kigali. Le sentier broussailleux qui montait vers le haut de la colline a laissé la place à une route bordée de belles villas. Seule la petite église baptiste semble avoir survécu à l'épreuve du temps.

En haut, la nature a repris ses droits sur les parcelles abandonnées. François Kabagema hésite, il cherche des détails familiers... soudain, il s'arrête. « C'est ici qu'il y avait ma maison. Il ne reste plus rien. Je vois les arbres que j'avais plantés quand j'étais jeune... J'avais un jardin et une petite maison. »

François Kabagema n'a jamais obtenu de dédommagement pour sa maison de Gikondo
François Kabagema n'a jamais obtenu de dédommagement pour sa maison de GikondoImage : DW/A. Le Touzé

Attaque nocturne

L'histoire de François Kabagema commence ici, le 22 février 1994, soit six semaines avant le début officiel des massacres contre les tutsis. Depuis plusieurs mois, les messages de haine se succèdent à la radio, incitant la majorité hutu à en finir avec les « Inyenzi », qui veut dire « cafards » dans la langue locale, le Kinyarwanda. Ce jour-là, des miliciens Interahamwe partent à la chasse aux tutsi à travers Kigali. La maison de François Kapagema à Gikondo est une de leurs cibles.

« Ils ont attaqué la nuit, tiré dans la maison et lancé des grenades. La maison a été détruite, mais j'ai eu de la chance et j'ai pu m'en sortir. Ils sont partis car ils croyaient que j'étais mort. »

« Pas pour les Tutsis »

En 1994, l'ambassade de France a ses locaux dans le quartier de Kiyovu. François Kabagema espère y trouver de l'aide : il travaille depuis plusieurs années pour la coopération française. Mais un diplomate refuse de l'héberger dans la « case de passage » qui sert habituellement aux invités. « Il a dit : la case de passage, c'est pour les Français. Pas pour les Tutsis » se souvient François Kabagema, l'amertume pointe dans sa voix.

Recueilli par un ami français, le fugitif est à l'abri lorsque le génocide commence le 7 avril. Nuit et jour, il entend des coups de feu et des cris. Mais il se sent en sécurité derrière l'épais portail de la maison. Quatre jours plus tard, pourtant, les étrangers sont évacués de Kigali. Lorsque des soldats viennent chercher son ami, François Kabagema tente de monter avec lui dans la voiture. « Un soldat m'a demandé 'Tu es quoi? Français ou Rwandais? Réponds ou je te tire dessus!' J'ai dit la vérité. Alors il m'a attrapé et il m'a jeté dans le jardin. Ensuite ils ont démarré la voiture et ils sont partis. »

Derrière cette grille se trouvaient les locaux de l'ambassade de France et de la Coopération
Derrière cette grille se trouvaient les locaux de l'ambassade de France et de la CoopérationImage : DW/A. Le Touzé

Sauvé par des gardiens

François Kabagema reste plus d'un mois dans la maison abandonnée, n'osant même pas sortir dans le jardin. À une cinquantaine de mètres en bas de la rue, des soldats arrêtent les passants. Et massacrent ceux dont la carte d'identité ou le visage trahit l'appartenance ethnique.

Le 19 mai, un chef Interahamwe ordonne de « nettoyer le quartier ». C'est de nouveau la fuite. Avec l'aide du gardien de la maison et d'un soldat, François Kabagema retourne à l'ambassade de France, elle aussi abandonnée. « J'ai été me cacher dans la bibliothèque de la coopération. C'est le gardien de l'ambassade qui m'a aidé en me donnant quelque chose à manger. »

François Kabagema passera encore plusieurs semaines caché derrière les rayons de la bibliothèque. Il ne peut sortir que la nuit. La libération arrive le 4 juillet, lorsque les forces du Front Patriotique Rwandais prennent le contrôle de Kigali. Pour François Kabagema, c'est la fin d'un long calvaire. Pendant trois mois, dit-il, « j'ai pensé chaque jour que j'allais mourir. Chaque seconde ! »

Nouvelle vie à Karambo

François Kabagema a reconstruit sa vie dans le quartier de Karambo
François Kabagema a reconstruit sa vie dans le quartier de KaramboImage : DW/A. Le Touzé

C'est dans le quartier populaire de Karambo que François Kabagema a reconstruit sa vie après le génocide. Le survivant a bâti une nouvelle maison et s'est marié. Père de trois enfants, il est aujourd'hui chauffeur de taxi. Il n'a pas vraiment pardonné aux bourreaux du génocide, mais aujourd'hui il ne pense plus à se venger. « La vengeance ne sert à rien. Si tu tues celui qui a tué ta famille, tu deviens comme lui. Il n'y a pas de différence... »