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"Les critiques n'entament pas l'indépendance de la Cour"

16 décembre 2020

Le président de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, Sylvain Oré, revient sur les critiques visant cette juridiction qui tranche les dossiers de violation de la Charte africaine des droits humains.

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La CADHP dirigée par Sylvain Oré est active depuis une quinzaine d'années
Sylvain Oré est le président de la Cour africaine dont le siège est à Arusha en TanzanieImage : African Court on Human and Peoples' Rights

Cette année, les décisions rendues par la Cour au profit des opposants ivoirien Guillaume Soro et béninois Sébastien Ajavon ont irrité .

Ceux-ci ont donc mis fin au droit accordé à leurs ressortissants de saisir la Cour d'Arusha. Mais Sylvain Oré affirme que ces critiques n'entament pas l'indépendance de la CADHP.  

Ce mois de décembre, la République démocratique du Congo (RDC) est officiellement devenue le 31e pays membre de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples.

>>>>Le Bénin condamné à payer 60 millions d'euros à l'homme d'affaires Sébastien Ajavon

Kinshasa a déposé son instrument de reconnaissance au siège de la Cour à Arusha en Tanzanie. La RDC s'apprête à prendre par ailleurs la présidence tournante de l'Union africaine.

>>>>>Des dirigeants africains manifestement opposés aux critiques ?

 

La Cour Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples renforce les fonctions de la Commission africaine
La Cour Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples renforce les fonctions de la Commission africaineImage : DW/V. Natzalis

DW : Monsieur le président Sylvain Oré, la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples ordonne aux Bénin de rétablir le droit de grève et d'abroger dans un délai de trois mois certaines lois, dont la nouvelle Constitution que la Cour juge contraires à la Charte africaine des droits humains. Mais comme d'habitude, les autorités du Bénin n'entendent pas respecter cette décision. Quelle réaction cela vous inspire-t-il ?

Sylvain Oré : Merci pour ces questions qui nous permettent, pas de commenter nos décisions. Nous ne devons pas commenter ces décisions, mais au moins de façon générale, nous pouvons répondre aux questions et aux préoccupations que vous vous posez.

Vous savez que les contestations des Etats, de décisions défavorables, ne sont ni spécifiques à l'Afrique, ni une première concernant la Cour africaine. On pourrait même estimer que les Etats n'aiment pas perdre. Cela dit, il faut comprendre également les réactions des Etats qui sont des souverains et qui doivent garantir le fonctionnement continu des institutions dans un certain environnement politique. Mais c'est justement là le défi de la garantie de l'Etat de droit. l'Etat de droit a un coût, c'est le respect de la loi. Quoi qu'il en coûte.

DW : Alors, est-ce-que, avec un recul maintenant, la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples admet des erreurs qui auraient pu avoir conduit aux décisions attaquées par la Côte d'Ivoire et par le Bénin, notamment cette année ?

Sylvain Oré : Je ne pense pas qu'on puisse parler d'erreurs ! La Cour a dit le droit en toute indépendance et ce serait dangereux de croire que ces critiques là ou ces observations ou ces commentaires à l'égard de la Cour puissent entamer son indépendance. Non, il n'en est pas question ! Evidemment, il est normal et il est tout à fait souhaitable que nous puissions, peut-être, approcher si vous voulez les parties en présence et peut-être expliquer le fonctionnement de la Cour.

DW : Donc, la Cour entreprendra des démarches vis-à-vis des Etats concernés pour des discussions, pour des négociations, pour un dialogue ?

Sylvain Oré : Vous savez que la Cour a toujours entrepris ce genre de démarches, notamment par des sensibilisations dans les Etats en réalisant des ateliers, des séminaires, des conférences pour présenter la Cour, expliquer son mandat, son fonctionnement. Et donc, il est tout à fait normal que nous continuions à entretenir ce débat-là, pour que les incompréhensions puissent être dissipées.

DW : Est-ce que la Cour envisage d'expliquer ces procédures, notamment concernant la saisine de cette Cour qui peut prêter à confusion quand une personne saisit la Cour et saisit une autre juridiction parallèle à la Cour sur la même affaire ? Comme il semble vous être reproché dans le cadre d'un dossier porté devant la Cour d'arbitrage d'Abidjan en même temps que la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples. Et le Bénin semble reprocher à la CHDP d'avoir été trop vite et de ne pas avoir laissé la Cour d'arbitrage d'Abidjan de trancher dans cette affaire.

Sylvain Oré : Nous n'avons pas empiété sur les compétences de la Cour commune de justice et d'arbitrage. Lorsque nous sommes saisis, c'est parce que les requérants qui nous saisissent font part de certaines allégations, des violations des droits de l'homme qui sont contenues dans les instruments qui ont été ratifiés par les Etats défendeurs.

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DW : Nous sommes maintenant dans un contexte où deux pays, le Bénin et la Côte d'Ivoire, ont claqué la porte de la Cour. Les citoyens et les ONG de ces pays ne peuvent plus saisir directement la CADHP pour des affaires. Avant ces deux pays, il y a eu le Rwanda. Il y a eu même la Tanzanie, où siège la cour, ce qui est assez gênant pour la Cour, non ?

Sylvain Oré : "Si la Cour subit un coup, l'UA dans son ensemble subit un coup"

Sylvain Oré : Il est indéniable que lorsque les Etats retirent leur reconnaissance, la Cour subit un coup mais il faut savoir que si la Cour subit un coup, les Etats, et d'ailleurs l'Union africaine dans son ensemble subissent aussi un coup, un coup à la crédibilité de l'engagement des Etats et de l'union, aux principes de l'Etat de droit, de la démocratie et de la bonne gouvernance.

DW : Mais cela ne semble pas gêner les chefs d'Etat, d'autant que des violations de droits de l'homme, en tout cas selon les défenseurs des droits de l'homme, se poursuivent à travers le continent ?

Sylvain Oré : C'est peut-être une question qu'il faut poser aux gouvernants ! Mais pour rebondir sur votre question, imaginons un instant ce qu'il resterait du discours de l'Union africaine, par exemple, sur l'agenda 2063, si les Etats retiraient leurs déclarations, à tel point que la Cour ne puisse plus fonctionner !

DW : Sylvain Oré, quel message vous inspire donc finalement, les oppositions des Etats, à l'adresse des citoyens africains ?

Sylvain Oré : C'est plutôt à la société des citoyens qu'il y a lieu de lancer un appel ! La Cour et ses juges n'ont pas créé la Cour.

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La Cour est une institution de service public créée par les Etats, y compris par le plaidoyer de la société civile et donc la pérennisation du projet porté par la Cour est donc à cet égard tributaire de ce que la société civile et les Etats eux mêmes décident d'en faire.

DW : On sait que la Cour, qui existe depuis une quinzaine d'années maintenant, avait eu une naissance assez difficile. Aujourd'hui, vu tout ce qui se passe, est-ce que cette Cour est comme un bébé indésiré, Monsieur Oré ?

Sylvain Oré : Indésiré, je ne dirais pas. Je n'irai pas jusqu'à dire cela. Je dirais peut-être, incompris.

DW : Il n'y a que 31 pays qui reconnaissent l'entrée en vigueur de cette Cour sur 55 que compte l'Union africaine. Et aujourd'hui, il n'y a que 6 qui acceptent que leurs citoyens saisissent cette Cour.

Sylvain Oré : Je précise que il n'y a que 6 qui acceptent que leurs citoyens saisissent directement à la Cour. Mais les 31 pays sont justiciables devant la cour par d'autres moyens indirects notamment, en passant par la Commission africaine des droits de l'homme. Donc, il faut quand même faire cette clarification. Même s'il est vrai que, il est préférable d'avoir un accès direct plutôt que par des contours. Maintenant pour revenir à votre question, c'est peut-être aux Etats qu'il faut la poser !

DW : Monsieur Sylvain Oré, Merci.

Photo de Fréjus Quenum à côté d'une carte du monde
Fréjus Quenum Journaliste, présentateur et reporter au programme francophone de la Deutsche Welle@frejusquenum