1. Aller au contenu
  2. Aller au menu principal
  3. Voir les autres sites DW

Les réfugiés mineurs aussi sont des enfants

Andrea Grunau | Audrey Parmentier | Sandrine Blanchard
20 novembre 2018

Les jeunes réfugiés viennent d'Afghanistan, de Syrie, de Somalie ou de Guinée. Ils travaillent dur pour obtenir une nouvelle vie en Allemagne. Tout seuls, c’est difficile, mais des tuteurs sont là pour les aider.

https://p.dw.com/p/37Nzt
Jugendkulturfest der Diakonie in Wuppertal | Mushtaag Arab
"Je suis programmée pour réussir, elle aussi", dit Monika Küpper (à droite), qui soutient Mushtaag Arab (17 ans) comme tutrice. Image : DW/A. Grunau

'Mon rêve c'est avoir une vie meilleure' (Halimatou de Guinée) - MP3-Stereo

"J'avais dix ans la dernière fois que j'ai embrassé grand-mère. J'avais dix ans lorsque mon enfance m'a été enlevée". Rojin Namer (15 ans) lit un poème sur l'enfance qu’elle a perdue dans son village natal syrien. Il n’y a pas un bruit dans le public du festival culturel de la jeunesse organisé par Diakonie Wuppertal pour les mineurs non accompagnés et leurs tuteurs – un silence attentif qui accueille les textes écrits sur ce qu'ils ont vécu pendant leur fuite par Rojin Namer, Shahzamir Hataki, Yasser Niksada et Robina Karimi dans le cadre du "Poetry Project" à Berlin.

La correspondante du Spiegel, Susanne Koelbl, qui a travaillé comme reporter de guerre, a initié le projet en 2015 afin de rapprocher les gens, et de transmettre des sentiments via la poésie. Les jeunes lisent dans plusieurs villes. Dans le public de Wuppertal, de nombreuses personnes comprennent exactement de quoi ces jeunes parlent – grâce à leur propre expérience ou à travers les jeunes qu’ils aident.

"Regarder vers l'avant, pas vers l'arrière"

Jugendkulturfest der Diakonie in Wuppertal
De nombreux artistes et invités africains sont venus au festival de la culture des jeunes organisé par Diakonie WuppertalImage : DW/A. Grunau

Mushtaag Arab (17 ans) originaire  de Somalie aime la manière dont les jeunes gens présentent leur propre histoire sur scène. Elle a elle-même fui en Europe il y a trois ans. Elle est venue au festival culturel de la jeunesse avec Monika Küpper. L'institutrice soutient les jeunes en tant que tutrice d'honneur : "Les jeunes ne sont pas là sans raison, dit-elle, je n'avais aucune idée de ce que fuir signifie". Elle a également appris par d’autres élèves à quel point ce chemin est difficile. Elle ne comprend donc pas "ce qui se passe politiquement" en Allemagne. Par exemple, quand les gens se plaignent des réfugiés, "quand on voit à quel point nous on est bien loti".

Mushtaag Arab la remercie expressément pour son aide : "Elle est toujours prête à m'aider, toujours !" Monika Küpper fait l'éloge de son assiduité à l’école et de ses très bonnes notes. Elle se sent connectée à Mushtaag: "Je suis programmée pour réussir, elle aussi". La jeune fille de 17 ans veut continuer à apprendre, souligne-t-elle, pour perfectionner son allemand et être encore meilleure à l’école. Elle veut obtenir son diplôme d'études secondaires et étudier. Elle souhaite devenir professeur de mathématiques comme sa tutrice et "regarder vers l'avant, pas vers l'arrière". C'est donc Monika Küpper qui nous raconte que son père a été enlevé en Somalie et que la fuite de son élève a été très difficile- même si elle est venue en Allemagne par avion et non par la Méditerranée comme Shahzamir Hataki, qui est à son tour sur scène.

"Les enfants étaient tous morts"

"Il y avait beaucoup d'enfants dans le bateau. Il a chaviré. J'avais terriblement peur". C’est ainsi que le jeune homme de Mazâr-e Charîf décrit l’angoisse mortelle qu’il a ressentie sur la route entre la Turquie et la Grèce : "Tout le monde a crié, moi aussi." Shahzamir Hataki lit son poème en dari, puis il traduit : "Une mère noyée devant mes yeux, son enfant dans ses bras." 65 personnes étaient à bord, elles ont attendu deux heures dans l'eau froide avant d’être secourues : "20 personnes ont survécu. Les enfants étaient tous morts".

Le jeune Afghan a été envoyé à l'hôpital, il n'avait alors que 15 ans. Après 20 jours, il a pu appeler sa mère. Il lui dit qu'il était arrivé sain et sauf : " Comment lui dire que, pendant dix jours, je n’ai pu manger que du cacao parce que mon corps était rempli d'eau salée ? "

Le public de Wuppertal reste silencieux, puis tout le monde applaudit. Shahzamir Hataki (17 ans) n'oubliera jamais cette expérience traumatisante. "Quand les gens nous demandent comment nous nous en sortons, nous répondons sur un ton cordial que nous allons bien", nous dit-il de façon réfléchie lors de l'interview en coulisse. Avec leurs poèmes, les jeunes ont voulu montrer "que nous ne sommes pas mauvais". Il a "extrêmement peur" de ce qui va se passer quand il aura atteint l'âge adulte parce que les Afghans sont de plus en plus déportés. Le nombre de mineurs non accompagnés qui doivent être pris en charge par le service de protection de la jeunesse en Allemagne a fortement diminué depuis 2016, comme le montre une étude du service de presse « Mediendienst Integration ».

Le nombre de demandes d'asile de jeunes réfugiés a également diminué, de même que le taux de protection, c'est-à-dire la proportion de décisions d'asile positives : en 2016, il était encore de 90 %, en octobre 2018, il est descendu à 60 %.

Selon le quotidien Süddeutsche Zeitung, le gouvernement fédéral refuse de se conformer à un arrêt de la Cour de justice européenne. Cette décision permet aux mineurs non accompagnés de faire venir leur famille y compris lorsqu’ils ont atteint l'âge de la majorité pendant la procédure d'asile. Ce qui importe, c'est la date à laquelle la demande d'asile a été introduite et non le temps dont les autorités ont eu besoin pour la traiter. En droit allemand, en revanche, un réfugié doit être encore mineur pour que ses parents entrent dans le pays. C’est, , d’après le journal, la raison pour laquelle le ministère des Affaires étrangères, qui est responsable de la délivrance des visas, n'applique pas l’arrêt de la Cour de justice européenne.

" Il y a là le bonheur, mais aussi la rudesse"

Yasser Niksada (15 ans) a grandi en tant que réfugié afghan en Iran. Son poème s'adresse à son frère qui est resté au pays : "Crois-moi, ici ce n’est pas le paradis. Il y a là le bonheur mais aussi la rudesse." Monika Küpper connaît également cette rudesse depuis qu’elle accompagne Mushtaag Arabs. Les migrants ne seraient pas bien traités " s'ils n'avaient pas quelqu'un derrière eux qui les accompagne, qui assure la médiation ", dit-elle. Elle dénonce avec indignation certains médecins, " qui ont été insolents envers elle, envers nous Je n’aurais jamais cru que cela puisse se produire."

Jugendkulturfest der Diakonie in Wuppertal | Mushtaag Arab
Des samosas préparés selon une recette somalienne – Mushtaag Arab est reconnaissante pour toute aide et aimerait elle aussi aider les autresImage : DW/A. Grunau

Le poème de Robina Karimi (17 ans) parle lui aussi de cette dureté injuste. "Ce n'est pas un crime d'être afghane", dit-elle. Elle a fui Kaboul et déplore que les Afghans soient "sous-estimés". Chaque pays produit des bienfaiteurs, des génies et des criminels. "Pourquoi punir tous les Afghans quand seul l’un d’entre eux s’est mal comporté?", demande-t-elle. Elle confie plus tard à la Deutsche Welle qu’elle est très méfiante à l'égard des autorités. Elles partent du principe qu’elle ment. Les reportages sur l’Afghanistan et les attentats à la bombe quotidiens l’accablent : "Beaucoup de gens meurent, beaucoup d'enfants, beaucoup de femmes". Elle ne peut pas continuer à parler, car les larmes lui montent aux yeux. Dans son poème, elle implore presque : "Arrêtez de nous torturer."

"On peut y arriver si on a un but"

Robina Karimi, Rojin Namer et Yasser Niksada n'ont jamais écrit de poèmes auparavant. Shahzamir Hataki, lui,  vient d'une famille de poètes : son père est un poète, son grand-père en était un également. Lui-même a commencé à écrire de la poésie à l'âge de 11 ans. Les autres jeunes n'étaient pas habitués à exprimer leurs sentiments de cette façon. Maintenant, ils sont contents que les gens écoutent. "Si quelqu'un comprend mes sentiments, dit Yasser Niksada, alors il comprend combien il a été difficile pour mes parents et pour moi de quitter l'Iran – de traverser neuf pays - seul, sans parents. "L'âme est avec ma famille en Iran, le corps est ici." Les filles et lui veulent passer leur bac à Berlin. Ils sont aussi déterminés que Mushtaag Arab qui les écoute.

Jugendkulturfest der Diakonie in Wuppertal | The Poetry Project
„L’âme est avec ma famille, le corps est ici“- les jeunes du „Poetry Project“ mettent des mots sur ce qu’ils ont vécu pendant leur fuiteImage : DW/A. Grunau

"Le lycée, c’est fatigant, dit Rojin de Syrie, mais cela ne la décourage pas pour autant : "Si on a un but, on peut y arriver. C'était mon but d'apprendre l'allemand, et j'y suis arrivée." En Afghanistan, Robina a terminé deuxième de sa classe, rapporte sa tutrice Sophia Schlette. A Berlin, cet été, c’est elle qui a eu le meilleur bulletin de notes alors qu’elle est arrivée en Allemagne traumatisée. Elle a fait un stage à l'Institut de Mathématiques de l'Université Technique. Sophia Schlette soutient Robina dans son conflit avec les autorités.

Alors que les tuteurs officiels sont responsables de plusieurs jeunes, une tutelle volontaire est une prise en charge individuelle. A Wuppertal, le projet Diakonie "Do it" réunit des volontaires et des jeunes. Les adultes apprennent ce qu'ils doivent prendre en compte lorsqu'ils ont à faire à des personnes traumatisées ; ils participent à des ateliers sur les compétences interculturelles. Ils s'informent sur les devoirs d'un tuteur et sur la manière dont ils peuvent travailler avec le bureau d'aide à la jeunesse compétent.

"Ici, je suis en sécurité"

Le programme "Do it" tente de trouver des paires qui vont bien ensemble. Deux qui semblent s’être trouvées sont Halimatou Diallo (17 ans) de Guinée et Raffaella Di Lucrezia. Ils sont rayonnants et pas seulement pour la photo. Halimatou Diallo a échappé à un mariage forcé. Raffaella Di Lucrezia vient d'Italie et elle a vécu avec son mari Burkhard Klenke en Angleterre pendant longtemps avant de venir en Allemagne. Elle dit qu’elle sait ce que c’est que de se sentir étrangère.

Jugendkulturfest der Diakonie in Wuppertal | Raffaella di Lucretia & Halimatou Diallo
Halimatou Diallo (17) avec sa tutrice Rafaella Di Lucrezia et son mari Burkhard KlenkeImage : DW/A. Grunau

Comme la plupart des mineurs non accompagnés, l’adolescente guinéenne vit dans une colocation encadrée, ce qui les met sur la voie de l’indépendance. Elle cuisine avec Raffaella Di Lucrezia et fait du kickboxing, visite des musées et la famille du couple. Ils rient beaucoup. La jeune femme de 17 ans, qui a perdu son père et est arrivée en Europe par la Méditerranée, se sent en sécurité. Elle ne veut pas perdre sa "nouvelle famille", comme elle nomme Raffaella Di Lucrezia et son mari : "Quand je suis avec eux, ma vie est en sécurité". Elle est reconnaissante pour l'aide à l'apprentissage : "Si tu n'apprends pas, tu n'as pas d'avenir", explique-t-elle.

Faire passer un message contre le racisme en tant que tuteur

Les écoles donnent un feedback très positif sur les jeunes réfugiés, rapporte Maria Shakura, une conseillère pour les réfugiés de Diakonie : "Ils ont tous très envie d’apprendre". Mais elle s'inquiète de la détérioration du climat social. En 2015 et 2016, les gens appelaient l’organisation pour dire : "Nous aimerions accueillir des réfugiés." Maintenant, il y a des regards étranges et les autorités ont changé de comportement : "Même les employés qui ont toujours été totalement amicaux se comportent différemment maintenant. Ce qui est encore pire, selon Maria Shakura, c'est l'augmentation des insultes et des violences racistes. Un jeune réfugié afghan, qui revenait de chez son ami, "a été violemment battu". Et personne n’en parle.

Monika Küpper considère sa tutelle sur Mushtaag Arab comme un message contre le racisme et l'exclusion : "C'est un bonheur de l'avoir rencontrée", dit-elle, et elle sourit à la jeune femme de 17 ans : "Cela a changé et élargi ma vision du monde. Je ne peux que recommander à tout le monde d’en faire autant."

 

L'UNESCOattire l'attention sur la difficulté des enfants et adolescents migrants à accéder à l'éducation comme les autres. Or aller à l'école ou suivre une formation aide à s'intégrer dans la société d'accueil, en approfondissant et en valorisant ses compétences, mais aussi en faisant la connaissance d'autres jeunes du pays.
 

Cet article écrit par Andrea Grunau et traduit par Audrey Parmentier a été publié pour la première fois en français sur le site InfoMigrants: http://www.infomigrants.net/fr/post/12890/refugies-mineurs-fuir-vers-un-avenir-sans-violence