Mains arrachées, manifestants éborgnés, mais que fait la police ? // La Slovaquie n'oublie pas Jan Kuciak | PROGRAMME | DW | 13.02.2019
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PROGRAMME

Mains arrachées, manifestants éborgnés, mais que fait la police ? // La Slovaquie n'oublie pas Jan Kuciak

Dans ce magazine, coup de projecteur sur les méthodes contestées de la police lors des manifestations des "gilets jaunes" en France et sur les moyens utilisés par les forces anti-émeutes en Allemagne. // Un an après l'assassinat de Jan Kuciak en Slovaquie, le journalisme d'investigation et l'éducation aux médias connaissent un regain d'intérêt dans le pays. 

En quelques semaines, les violences policières sont devenues un élément fédérateur du mouvement des "gilets jaunes" qui agite la France. 

Il y a eu cette femme de 80 ans, décédée début décembre à Marseille après avoir reçu une grenade lacrymogène en plein visage. Et il y a ces blessures aux yeux et aux mains, recensées à chaque manifestation ou presque. 

Selon le collectif militant français "Désarmons-les", vingt personnes ont été éborgnées durant les manifestations. Cinq autres ont eu une main arrachée. Au total, le collectif a recensé 138 cas de mutilations ou blessures graves depuis le début du mouvement, le 17 novembre 2018. 

Un arsenal de guerre contre les manifestants ?

Parmi les armes incriminées figurent les grenades de désencerclement, mais aussi les lanceurs de balles de défense LBD. Ce fusil de nouvelle génération est interdit dans de nombreux pays, mais en France le Conseil d'État vient de rejeter les plaintes visant à suspendre son utilisation. 

Jérôme Rodrigues a perdu un œil lors d'une manifestation

Jérôme Rodrigues a perdu un œil lors d'une manifestation

"On tire sur un peuple avec une arme de guerre, c'est ça la France aujourd'hui ?" critiquait récemment Jérôme Rodrigues, un des chefs de file du mouvement des "gilets jaunes".

Il portait déjà une longue barbe noire "à la pirate". Depuis qu'il a perdu un œil lors d'une manifestation, le 2 février, il a le cache-oeil noir qui va avec. Une enquête policière est en cours pour déterminer la nature du projectile qui l'a éborgné... et l'origine du tir. 

Alors évidemment Jérôme Rodrigues exagère. La police française n'est pas équipée d'armes de guerre, du moins pas encore. Une arme de guerre ne tirerait d'ailleurs pas de balles en caoutchouc.

Pour autant, les dégâts causés par les LBD et les grenades de désencerclement ne sont pas beaux à voir, comme en témoigne Clément Lanot. Le photo-journaliste couvre les manifestations des "gilets jaunes" sur le terrain.

"Oui, les LBD sont dangereux. Les forces de sécurité n'ont pas le droit de tirer avec les LBD sur la tête ou le bas du corps, mais lors des manifestations, les gens bougent tout le temps, il y a beaucoup de mouvement, donc il leur est difficile de viser correctement. J'ai vu, à plusieurs reprises, des tirs de LBD dans des foules et puis vous voyez des gens tomber au sol, avec des blessures aux jambes ou parfois aux yeux, il peut y avoir beaucoup de sang. C'est assez choquant. On n'a pas l'habitude de voir ce genre de choses lors des manifestations."

Interdits dans la plupart des pays européens, y compris l'Allemagne

En Europe, les LBD sont interdits dans la plupart des pays. Seules la Grèce, la Pologne et l'Espagne (hors Catalogne) autorisent leur utilisation.

Les canons à eau, un classique des manifestations en Allemagne

Les canons à eau, un classique des manifestations en Allemagne

En Allemagne, les policiers déployés dans les manifestations sont armés de matraques et de boucliers, appuyés par des canons à eaux pour disperser les contestataires. Il y a pas de LBD, et ce n'est pas plus mal, estime Nils Zurawski, chercheur à l'institut de recherche sociale et en criminologie de l'Université de Hambourg. 

"Il n'y a pas de lanceurs de balles en caoutchouc et même s'il y a des réclamations régulières, personne n'a osé y recourir jusqu'à maintenant. La police allemande n'a pas une tradition d'armement lourd, elle a pendant longtemps essayé une stratégie de désescalade et les appels à des équipements plus lourds datent d'une dizaine, quinzaine d'années. Mais la classe politique est réticente - et c'est d'ailleurs surprenant - à équiper à la police avec davantage d'armemement."

L'équipement de la police est du ressort des Länder, les États régionaux. Les 16 services de police régionaux et la police fédérale pourraient donc décider séparément de recourir aux lanceurs de balles de défense, comme leurs voisins français.

Les autorités françaises se sont d'ailleurs vues confortées dans leur position par la décision du Conseil d'État de valider l'utilisation des LBD. Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner l'a défendu à maintes reprises ces derniers jours sur les antennes des radios françaises, ici sur RTL. Avec des arguments qui font froid dans le dos.

"Il y a des militants casseurs qui viennent au contact pour se battre contre les forces de l'ordre. Si nous retirons ces armes à la police, que leur restera-t-il quand ils seront attaqués et obligés de se défendre ? Il leur reste le corps-à-corps. Ou ils peuvent utiliser leur arme de service. Ni vous ni moi ne voudrions qu'ils utilisent leur arme de service et je veux éviter les combats au corps-à-corps. Ce que nous pouvons faire, c'est fournir un meilleur cadre pour l'utilisation de la LBD, avec les caméras piéton. Il y a eu 32 tirs de LBD samedi dernier, les 32 ont été filmés."

Il est vrai que le niveau de violence dans les manifestations a pris de l'ampleur ces dernières années en France. Mais de nombreux témoignages rapportent que les policiers anti-émeutes ont visé des manifestants non-violents, et même des journalistes identifiés comme tels puisqu'ils portaient des brassards de presse. Les caméras désormais installées sur les LBD pourraient réduire ce genre d'abus. 

Le policier allemand n'est plus un "ami"

L'encadrement des manifestations est du ressort des Länder en Allemagne, ici à Hambourg lors du G20

L'encadrement des manifestations est du ressort des Länder en Allemagne, ici à Hambourg lors du G20

En Allemagne aussi, la relation entre la police et les citoyens s'est dégradée ces dernières années. L'image du policier "ami" au service de la population a du plomb dans l'aile et les manifestations sont parfois émaillées de violence.

Lors du sommet du G20 à Hambourg, la police avait d'ailleurs été très critiquée pour la façon dont elle avait réprimé la contestation, sans faire de distinction entre casseurs et manifestants pacifiques. Une provocation inutile, selon le sociologue Nils Zurawski.

"Ce qui est impossible à déterminer, c'est 'qui a commencé'. L'argument de la police, c'est dire qu'ils ont besoin de plus de protection. Mais les manifestants ne vont pas dans la rue contre la police, du moins à l'origine. Ils manifestent contre une loi sur le travail ou une loi sociale, pour plus de quelque chose... De l'autre côté il y a la police, envoyée pour protéger l'ordre de l'État. Et si elle est trop robuste, c'est une provocation pour la partie adverse."

Nils Zurawski trouve que les appels à davantage d'armements sont "un argument faible". "Ce genre de rhétorique et de logique ne fait qu'entraîner davantage de violences, davantage de blessés et de dégradation de la relation entre la police et les citoyens. Et il n'y a plus d'espace pour dire 'peut-être qu'on devrait se calmer'. Il faudrait peut-être une stratégie de communication pour rétablir le dialogue. Et c'est une question qui s'adresse à la politique puisque la police est envoyée par la force politique. Que fait la classe politique pour calmer la situation?"

Une loi anti-casseurs a été votée en France, elle est dénoncée comme une dérive autoritaire par la gauche

Une loi anti-casseurs a été votée en France, elle est dénoncée comme une dérive autoritaire par la gauche

La classe politique française, elle, veut en finir à tout prix avec les violences dans les manifestations. Une loi anti-casseurs, contestée jusque dans les rangs de la majorité, vient d'être votée à l'Assemblée nationale.

Elle prévoit notamment des interdictions administratives de manifester, sous peine de six mois d'emprisonnement et 7500 euros d'amende, ce qui est vu par de nombreux défenseurs des libertés comme une restriction du droit de manifestation.

Le ministère de l'Intérieur a quant à lui commandé 1280 LBD supplémentaires pour les quatre prochaines années. 

Sons recueillis en partie à Paris par John Laurenson

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La Slovaquie, un an après l'assassinat de Jan Kuciak

Un an après la mort de Jan Kuciak, police et justice slovaques poursuivent leur enquête. Plusieurs personnes soupçonnées d’avoir participé aux meurtres ont été arrêtées, dont le commanditaire présumé Marian Kocner.

Un an après la mort de Jan Kuciak, police et justice slovaques poursuivent leur enquête. Plusieurs personnes soupçonnées d’avoir participé aux meurtres ont été arrêtées, dont le commanditaire présumé Marian Kocner.

Le 21 février 2018, le jeune journaliste Jan [Kutsiak] était tué par balle avec sa fiancée Marina Kusnirova. Il enquêtait alors sur des affaires de corruption et de collusion entre mafia et gouvernement.

Ce double assassinat a profondément marqué la population slovaque, dont une partie est descendue dans la rue pour manifester, puis obtenir la démission du Premier ministre et de son ministre de l’Intérieur.

Un an après la mort du journaliste, les collègues de Jan Kuciak continuent tant bien que mal leur travail, et un nouveau centre pour le journalisme d’investigation vient d’être fondé à Bratislava. Reportage sur place, signé Alexis Rosenzweig.

Depuis l'an dernier, de nombreux hommages ont été rendus à Jan Kuciak, mais aussi à la journaliste maltaise Daphné Caruana Galizia, assassinée en 2017, elle aussi en pleine enquête sur la corruption. 

Parmi ces hommages, un prix pour les journalistes lanceurs d'alerte leur a été décerné en 2018 par le groupe de la Gauche unitaire européenne au Parlement européen. L'appel à candidature pour la deuxième édition du prix est ouvert jusqu’au 1er mars.