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Arts

"Les Béninois attendent les œuvres" (Marie-Cécile Zinsou)

Nadir Djennad
3 novembre 2021

https://p.dw.com/p/42Vh0

DW : Marie-Cécile Zinsou, bonjour. Les œuvres de l'ancien royaume du Dahomey exposées au musée du Quai Branly Jacques Chirac à Paris seront restituées prochainement au Bénin. Que ressentez-vous aujourd’hui ?

Je suis très fière à la fois en tant que Française et en tant que Béninoise, parce que je suis fière d'un dialogue intelligent et ça fait longtemps que le dialogue est déséquilibré. Et là, entre le président Talon, qui a fait sa demande en 2016, et le président Macron, qui a fait un discours général en 2017, puis assez spécifique sur le Bénin à partir de 2018.

Aujourd'hui, on a un échange intelligent, c’est-à-dire que la France accepte de transférer le patrimoine du Dahomey vers le Bénin, l'ancien Dahomey, et ça va permettre à toute une jeune génération de comprendre son histoire, d'y avoir accès sans avoir à faire 5000 kilomètres pour accéder à son patrimoine.

Exposition au Quai Branly à Paris de trésors du Dahomey qui vont être restitués au Bénin (octobre 2021)
Exposition au Musée du Quai-Branly à Paris de trésors du Dahomey qui vont être restitués au Bénin (octobre 2021)Image : Pascal Rossignol/REUTERS

DW : Est-ce que c'est, selon vous, plus l'aboutissement d'un combat que vous avez mené avec les autorités béninoises qu'un changement de politique des autorités françaises?

La restitution est vraiment un dialogue politique, c'est à dire que la société civile n'a pas vraiment de rôle. Évidemment qu'on a fait des actions dans tous les sens pour sensibiliser la population. Moi, j'ai reçu en 2006 une partie des œuvres dans le cadre d'une exposition sur le dernier roi du Bénin organisée avec le Musée du Quai-Branly. On est dans une chose où ça ne peut être que politique, en fait, et je pense que c'est à la fois une nouvelle demande exprimée par le gouvernement béninois.

Au Bénin, on n'avait pas de gouvernement très intéressé par les questions culturelles. Donc, c'est une nouveauté côté béninois. Et la réponse française constructive est une nouveauté totale. Je vois qu'on est vraiment dans les deux pays dans des moments historiques et chacun a su voir que l'autre était prêt à faire quelque chose d'incroyable.

Des statues du XIXè siècle pillées dans le royaume du Dahomey
Des statues du XIXè siècle pillées dans le royaume du DahomeyImage : Lois Lammerhuber/musée-du-quai-Branly

DW : 26 œuvres vont être restituées, mais est-ce suffisant? Le président béninois Patrice Talon avait demandé une restitution globale sur la base d'un inventaire précis. Est-ce que vous estimez que la France doit remettre les autres œuvres assez rapidement?

Pour le moment, ce qu'il faut voir, c'est que les œuvres vont arriver au Bénin. Elles vont être montrées. Il y a quelque chose de très intéressant qui se passe au Congo parce qu'on voit toujours la restitution de l'Europe vers l'Afrique. Mais en fait, il y a quelque chose de plus intéressant que ça : c'est la reconstitution.

La reconstitution, c'est ce que sont en train de faire les Congolais. A Kinshasa, ils sont en train de réfléchir à ce qu'ils ont dans leur collection nationale, la façon dont ils montrent leur histoire et ce qui leur manque. Et s'il leur manque des pièces qui sont identifiées dans les collections européennes, eh bien, ils reconstituent et demandent ces pièces-là. Et c'est ça qui est très intéressant. On a une situation européenne et africaine qui bouge très vite. On a la même chose avec le Gabon à Libreville. Le musée de Libreville a des collections exceptionnelles. Ils n'ont pas forcément intérêt à demander des pièces dans tous les musées du monde parce qu'ils peuvent déjà montrer des choses absolument fantastiques. Et du coup, ils peuvent montrer aussi le Gabon à l'extérieur.

On est sur de nouvelles réflexions. On n'est pas en termes de "Rendez-nous tout.. ou on va vous fait la guerre !". Ce n'est pas du tout ça. On ne rejoue pas l'histoire ici. Ici, on joue l'avenir. Est-ce que ces gens de ces œuvres sont suffisantes pour raconter une histoire qui permettra aux jeunes Béninois de se créer un avenir? C'est ça la question. Et exposons-les et s'il en manque, on redialogue, la conversation est continue.

Mi-homme mi-lion, mi-homme mi-oiseau
Mi-homme mi-lion, mi-homme mi-oiseauImage : Pascal Rossignol/REUTERS

DW : Certains en France, professionnels de l'art et même responsables politiques, se sont opposés à ces restitutions. Certains estiment qu'il y aura une relance sans fin des demandes de restitution qui empoisonnent régulièrement les relations internationales. D'autres disent que les musées européens vont se vider. Comment réagissez-vous face à l'opposition de certains au retour de ces œuvres ?

Il n’y a jamais eu de révolution qui s'est faite dans une grande unanimité et un grand enthousiasme général. Il faut des gens qui critiquent. Il faut des gens qui disent que l'Afrique n'est pas prête, que les musées africains ne sont pas au niveau des gens qui eux-mêmes n'ont jamais mis un pied en Afrique, qui ne connaissent pas les histoires, qui lisent des fiches Wikipédia, qui modifient, qui font du révisionnisme à la petite semaine. Il y en a toujours eu pour tous les sujets. La restitution ne fait pas exception.

Voilà, je ne leur réponds pas, ils ne m'intéressent pas. Ce qui m'intéresse, c'est qu'aujourd'hui, on a une exposition de 26 œuvres magnifiques et que cette exposition sera visible à Ouidah à partir de 2022.

Une porte du palais royal d'Abomey
Une porte du palais royal d'AbomeyImage : Michel Euler/AP/dpa/picture alliance

DW : Est ce qu'il y a une forte attente au Bénin, notamment de la jeunesse? Que vous disent les Béninois, les jeunes Béninois, concernant le retour de ces œuvres?

La restitution est objectivement un sujet dont on parle au Bénin. C'est évidemment, puisque on savait très bien quand il y a eu le discours de Ouagadougou de Macron en 2017, quand il a dit qu'il fallait que le patrimoine africain revienne en Afrique.

On savait qu'on était le dernier pays en date à avoir fait une demande. Il y a eu des demandes depuis les indépendances. Il y en a eu beaucoup, mais en 2016, notre demande datait de 2016, le discours de Ouagadougou de 2017. On s'est senti directement concerné. Donc oui, il y a eu un enthousiasme.

Il y a un vrai suivi des questions sur la restitution, donc les gens attendent les œuvres. Vous le verrez au public, vous verrez. À partir de janvier, le public sera présent à l'exposition.

DW : Merci beaucoup, Marie-Cécile Zinsou, d'avoir répondu à nos questions.

Merci beaucoup.