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Opinion : Alassane Ouattara, vers un troisième mandat agité

5 novembre 2020

L'opposition à Alassane Ouattara prend des risques. Mais le troisième mandat dont il dit que c'est son dernier, s'annonce agité sans un dialogue, pense Fréjus Quenum.

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Le président ivoirien Alassane Ouattara à Abuja lors d'un sommet de la Cédéao (Archives - 16.02.2012)
Alassane Ouattara a pris le pouvoir en 2011, imposant à l'ex-président Laurent Gbagbo une défaite au terme d'un long combat militaro-politiqueImage : Reuters

« Alea jacta est ». Inutile d'attendre ce que décidera le Conseil constitutionnel ivoirien après la proclamation par la Commission électorale indépendante (CEI) des résultats provisoires de la présidentielle du 31 octobre 2020. Il validera la victoire d'Alassane Ouattara telle que proclamée par la CEI ce 3 novembre au petit matin.

C'est ce même Conseil qui, envers et contre tous, a validé le 14 septembre la candidature de Ouattara, invoquant un nouveau départ de la vie politique et institutionnelle qu'aurait introduit la nouvelle Constitution de 2016.

Les dés ainsi jetés, la Côte d'Ivoire risque désormais de s'installer dans un nouveau cycle de violences. Violences verbales et, ce qui est le plus redoutable, violences physiques.

Accusations d'attaques ciblées

L'opposition a décidé de ne plus reconnaître la légitimité du président Ouattara et a mis en place un Conseil national de transition
Henri Konan Bédié (gauche) et l'ancien premier ministre Pascal Affi N'Guessan (droite) ont boycotté le scrutin sans retirer leur candidatureImage : Sia Kambou/AFP/Getty Images

Le décor en est déjà planté. Les principaux opposants, notamment l'ancien président Henri Konan Bédié, ont dénoncé durant les heures qui ont précédé l'annonce de la victoire d'Alassane Ouattara des tirs d'armes lourdes qui auraient visé leurs domiciles. La plupart des leaders de l'opposition sont bloqués chez eux par la police et les rassemblements sont interdits.

L'opposition apparaît ainsi aux yeux de ses partisans comme prise pour cible par des forces favorables au pouvoir.

Un nouveau tournant se dessine ainsi après l'annonce de la victoire d'Alassane Ouattara. La création d'un Conseil national de transition, une sorte d'exécutif parallèle mis en place par l'opposition qui ne reconnait pas la légitimité de l'occupant du palais présidentiel d'Abidjan, est une illustration de la radicalisation du bras de fer.

Mais c'est un risque de plus pour l'opposition.

Lire aussi → Côte d'Ivoire : Pas de transition possible selon le pouvoir

Sa stratégie du boycott actif a eu un succès relatif. En définitive, l'élection a eu lieu, et ce sont des Ivoiriens du bas peuple qui ont perdu la vie. Le pouvoir a pu éviter le piège, malgré les décès enregistrés, en donnant aux forces de l'ordre la consigne de ne pas tirer sur les manifestants.

Le deuxième risque que constitue la création d'un pouvoir parallèle vise à augmenter la pression sur le gouvernement.

Mais il est aussi condamné à l'échec. Il offre à la présidence l'occasion d'en finir une fois pour toutes en invoquant une tentative de déstabilisation des institutions du pays. La conséquence sera par exemple l'arrestation de certains leaders de cette opposition. Cela a commencé mardi. L'usure du temps achèvera d'étouffer l'élan des supporters.

Le "sacrifice" qui fait mourir des Ivoiriens

Fréjus Quenum, journaliste de la rédaction francophone (Deutsche Welle)
Fréjus Quenum, journaliste de la rédaction francophone (Deutsche Welle)Image : DW/P. Henriksen

Or, la paix ne sera pour autant pas au rendez-vous. Les ingrédients de l'instabilité sont réunis et même s'il a réussi à obtenir son troisième ticket, les cinq nouvelles années pourraient être agitées pour Alassane Ouattara. La fracture sociologique provoquée par la crise postélectorale de 2010-2011 s'est maintenant aggravée.

Une trentaine d'Ivoiriens ont perdu la vie en raison de ce troisième mandat qu'Alassane Ouattara présente comme étant un sacrifice pour la Côte d'Ivoire. Un sacrifice pour lui, mais qui se transforme en une perte de nombreuses vies humaines.

Alassane Ouattara s'installe dans un bain de sang. Il aurait pu s'octroyer une sortie digne d'un modèle à l'échelle continentale.

Il a préféré suivre ses intérêts personnels et ceux de certains acteurs radicaux de son parti le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), tel le directeur exécutif Adama Bictogo, qui le poussent à réagir en lui demandant d'être ferme face à ses opposants.

Peu probable que le scénario de 2010 se répète, mais...

Certes, à la différence de 2010, il n'existe pas d'entité armée connue, à l'instar de celle que dirigeait l'ancien premier ministre aujourd'hui en exil, Guillaume Soro, qui a joué un rôle déterminant dans la prise du pouvoir par Alassane Ouattara en 2011.

Les deux alliés, Soro et Ouattara se sont séparés sur des divergences liées au partage du pouvoir
Guillaume Soro a été nommé premier ministre du gouvernement à la prise du pouvoir par Alassane Ouattara en 2011Image : picture alliance/dpa

Guillaume Soro ne dispose plus de la même force. Durant les années précédentes, plusieurs de ses proches ont été arrêtés. Des armes ont été saisies chez certains. Sa menace d'empêcher le scrutin a suscité une brève panique même au sein du pouvoir mais elle n'a pas abouti. Visé par un mandat d'arrêt, sa capacité de nuisance est désormais très réduite, au-delà de la fibre ethnique.

Les réformes au sein de l'armée ivoirienne menées par Alassane Ouattara après les mutineries de 2017 le mettent aussi à l'abri de toute nouvelle agitation venant de la Grande muette.

Face donc à un pouvoir fort, l'opposition qui a pris le risque de boycotter l'élection joue sa survie. Il n'est pas surprenant que des manifestations régulières soient organisées, du moins dans l'immédiat, dans la suite logique de l'appel à la désobéissance civile.

Cette stratégie permet à l'opposition de peser dans les négociations que le président Alassane Ouattara devra ouvrir. Il l'a annoncé. Et la communauté internationale fera pression pour que ce dialogue ait lieu avant les prochaines élections législatives. La Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest, l'Union africaine et l'Union européenne ont insisté sur ce dialogue.

C'est visiblement le seul scénario de sortie de crise pour éviter l'embrasement qui ralentira la croissance économique ivoirienne et affaiblira ce pays qui est un levier dans une sous-région en proie à l'insécurité liée au terrorisme.

Photo de Fréjus Quenum à côté d'une carte du monde
Fréjus Quenum Journaliste, présentateur et reporter au programme francophone de la Deutsche Welle@frejusquenum