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Turquie : les Derviches tourneurs

Dorian Jones (Septembre 2007)

L'Unesco a déclaré l’année 2007 « année de Mevlana » en l'honneur du poète et philosophe mystique musulman du 13e siècle. Ses héritiers sont aujourd'hui mieux connus sous le nom de "derviches tourneurs".

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La danse des derviches tourneurs fascine. Mais combien connaissent sa signification ?
La danse des derviches tourneurs fascine. Mais combien connaissent sa signification ?Image : AP

Cette année est le 800ème anniversaire de la naissance de Mevlana Jalaluddin Rumi, un poète et philosophe mystique musulman du 13e siècle. L’UNESCO a ainsi déclaré l’année 2007 comme étant « l’année de Mevlana ». Sa version d’un Islam mystique, appelé aussi soufisme, est particulièrement connue par l’usage de la danse et de la musique dans les rituels liturgiques.

Aujourd’hui, les héritiers de cette tradition sont devenus célèbres sous le nom de « derviches tourneurs ». Mais qui sont-ils vraiment et que signifient leurs danses ? Dorian Jones s’est rendu à Istanbul pour répondre à ces questions.

La sema, une cérémonie mystique séculaire

Une danse aux airs de transe mystique.
Une danse aux airs de transe mystique.Image : DW/Dorian Jones

Située au sommet d’une colline du quartier historique de Galatta à Istanbul, la demeure centenaire des Mevlevi est un véritable havre de paix.

Aussitôt le seuil franchi, on oublie le bruit assourdissant et l’effervescence d’Istanbul et de ses 12 millions d’habitants. Le son apaisant d’une flûte vous transporte des siècles en arrière. Dans la salle de culte de forme octogonale où sont assis touristes et locaux, l’attente touche à sa fin. Lentement, trois hommes font leur entrée, vêtus de leurs longues tuniques blanches traditionnelles et de toques beiges côniques. L’un d’entre eux étale un petit tapis rouge sur le sol, symbole du destin. Il s’incline devant avant de rejoindre les deux autres danseurs.

Un par un, au rythme lent de la musique, les danseurs commencent à décrire un cercle... et puis, peu à peu, ils se mettent à tourner, les bras croisés sur la poitrine. Lentement, leurs bras s‘élèvent au-dessus de leurs têtes, toujours en parfaite harmonie avec la musique... Et alors qu’ils tournent de plus en plus vite, les danseurs semblent entrer dans une sorte de transe mystique... Avec la vitesse, leur longue tunique blanche prend la forme d’une grande campanule.

L'éveil de la spiritualité pour but

Attila Osman Baran est assis à côté de moi. C’est lui qui dirige l’orchestre Rumi Mevlevi. Il explique que cette danse séculaire et la musique qui l’accompagne portent le nom de Sema. Toutes deux prennent leur source dans la nature.

Une philosophie de l'amour, de l'ouverture et de la tolérance.
Une philosophie de l'amour, de l'ouverture et de la tolérance.Image : AP

"Les pas de cette danse et leur signification sont une tentative pour réaliser l’union de l’homme et de la nature. Les planètes, les molécules tournent. La rotation est essentielle dans la nature. Alors, pour vénérer Dieu, nous utilisons cette danse à base de voltes. En tournoyant, les adorateurs apprennent à se connaître eux-mêmes et à connaître Dieu. Mais il y a aussi un lien entre Dieu et les spectateurs. Et si, grâce aux derviches, les spectateurs parviennent à la spiritualité, alors la danse a atteint son but", explique Attila Osman Baran.

Pourquoi un derviche tourneur tourne-t-il ?

Après la cérémonie, je rejoins l’un des danseurs épuisés et hors d’haleine, Bulent Sefermendi. Cela fait 20 ans qu’il participe à la Sema. Bulent Sefermendi explique qu’il lui a fallu travailler dur pendant 6 mois pour apprendre cette danse.

Mais selon lui, pour la danser bien, il est essentiel de comprendre la philosophie dont elle découle : "Pourquoi un derviche tourneur tourne-t-il ? C’est cela la question essentielle. La cérémonie de la danse établit en quelque sorte un pont qui permet à l’être humain de se rapprocher de Dieu. La philosophie de tout ça, c’est d’appeler à l’unité de tous, c’est une forme de philosophie religieuse appelée Tasavvof et qui invite à la fraternité, à l’amour et à l’union entre les hommes, pas seulement entre les musulmans, mais entre les croyants de toutes les religions. Le coeur de l’Islam, ce n’est pas ce que beaucoup pensent en Occident, c’est l’amour et l’amour de toute l’humanité."

Brassage des cultures et des religions

"La rotation est essentielle dans la nature".
"La rotation est essentielle dans la nature".Image : DW/Dorian Jones

L’ordre des Mevlevi a été fondé par Jalal Did Muhammad Rumi il y a plus de 700 ans à Konya. Cette ville du centre de la Turquie était, il y a un millénaire de cela, au carrefour de différentes religions.

Baran explique que la danse et la musique de la cérémonie envoûtante des derviches prend ses racines dans plusieurs de ces religions :"Toutes ces traditions, ces danses et ces croyances, sont le résultat de siècles entiers de brassage des religions et des civilisations. Elles nous viennent du Moyen-Orient par l’intermédiaire des prophètes du 8ème siècle. Mais elles ont aussi été influencées par le chamanisme d’Asie centrale. Quant au fait de lever les mains vers le ciel en dansant, cela vient de la tradition grecque, transmise par les Grecs anciens d’Anatolie. C’est donc une fusion de trois importantes cultures et religions : le christianisme, le chamanisme et l’Islam."

Fusion donc, de différentes religions et philosphies : voilà qui pourrait expliquer l’étonnement et l’émerveillement que suscitent les derviches tourneurs chez les spectateurs de tous les horizons.

A une époque où l’on n‘en finit plus de discuter du choc des civilisations, les derviches tourneurs espèrent quant à eux, que leur philosophie de l’amour, de l’ouverture et de la tolérance offrira une vision différente de l’Islam à tous ceux qui les regardent danser, en Turquie ou ailleurs.

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Un reportage de Dorian Jones, adapté et présenté par Naïma Guira.