"Il faut prendre l'Afrique plus au sérieux" (Agro-action allemande, 1/2) | PROGRAMME | DW | 18.07.2019
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PROGRAMME

"Il faut prendre l'Afrique plus au sérieux" (Agro-action allemande, 1/2)

Entretien avec Mathias Mogge, président de la Welthungerhilfe et membre du directoire de VENRO, sur la politique de développement de l'Allemagne et sa coopération avec l'Afrique.

A l'occasion des cinquante ans de la loi qui régit le statut des coopérants allemands, nous nous entretenons cette semaine et la semaine prochaine avec Mathias Mogge.

Président de l'Agro-action allemande (Welthungerhilfe), il est aussi au conseil d'administration de la plateforme VENRO qui réunit des ONG spécialisées dans le développement et la coopération.

Dans le premier volet de cet entretien, Mathias Mogge revient sur les évolutions des conceptions allemandes des différentes formes de la coopération avec l'Afrique, ces dernières décennies... ou comment on est passé de l'"aide au Tiers-Monde" au "partenariat d'égal à égal". 

***

DW : L'occasion de notre rencontre ce sont les 50 ans d'une loi qui a été adoptée en Allemagne de l'Ouest en 1969 pour régir le statut des coopérants qui étaient envoyés depuis l'Allemagne dans des pays qu'on appelait alors les pays du Tiers-Monde. Quelle était l'idée qui prévalait à l'époque en RFA ? Comment est ce qu'on concevait cette idée d'aide humanitaire ou de coopération après la Guerre mondiale ?

Mathias Mogge : Après la deuxième Guerre mondiale et la tyrannie nazie, l'Allemagne de l’Ouest voulait aussi montrer au monde qu’elle avait changé et que les Allemands voulaient jouer un rôle complètement différent dans le monde.

La coopération technique, économique etc. était un outil pour montrer qu'on peut aussi faire autre chose que de propager la guerre dans le monde.

C'était une inflexion complètement nouvelle, y compris en matière de politique étrangère, qu’on a introduit à l'époque.

DW : Ça partait d'une idée plutôt généreuse de se dire qu’il y a des gens dans des pays, ailleurs dans le monde, qui ont moins que nous et donc qu’on peut peut-être les aider en distribuant des vivres en distribuant du matériel par exemple des choses comme ça ?

Mathias Mogge : Oui par exemple mais l'Allemagne évolue à l'époque assez rapidement comme pays exportateur et on a aussi pensé que si on pouvait contribuer à un développement des différents pays, on pouvait aussi éventuellement exporter nos biens. Ce n'était pas uniquement la solidarité et l'aide humanitaire etc. mais aussi une idée économique derrière. C'est pourquoi notre ministère s'appelle aussi ministère pour le développement économique.

DW : Ça pouvait être aussi un instrument pour le gouvernement allemand de se faire connaître et de faire connaître les productions allemandes et peut être de propager des marques ou des objets des biens de consommation allemands, c’est ça ?

Mathias Mogge : Oui absolument. Et comme l'Allemagne n'avait pas le même héritage colonial que d'autres pays comme l'Angleterre ou la France, les Allemands ont eu dans beaucoup de pays une réputation assez bonne et peut être aussi un peu neutre. C'est pourquoi beaucoup ont été accueillis de façon très positive.

Les gens assimilaient l'Allemagne à la qualité et la ponctualité. Peut-être des stéréotypes sur les Allemands, c'était perçu de façon plutôt positive.

Infografik Arbeit der Welthungerhilfe 2018 DE (Achtung Sperrfrist!)

Le travail de l'Agro-action allemande en 2018, par secteurs (dans l'ordre): alimentation, agriculture et environnement, aide humanitaire, société civile, assainissement et hygiène, développement économique, autres

DW : Il ne faut pas oublier aussi qu'à l'époque on est en pleine guerre froide et que c'est aussi important pour un Etat du bloc de l'Ouest, occidental, comme la RFA, de se positionner, d'être présent dans des pays pour contrer une éventuelle influence de l'Union soviétique.

Mathias Mogge : Absolument. Pendant les années 1970 surtout, la politique de la guerre froide a joué un grand rôle. Par exemple en Afrique, on voulait éviter que d'autres pays s'associent avec le bloc de l'Est. Et je crois que l'Allemagne de l'Ouest voulait montrer au monde qu’elle était pays qui pouvait jouer un rôle positif dans le développement. Montrer cela avec de l'argent surtout mais aussi avec du personnel sur place.

DW : A l'époque, on coopère beaucoup avec les Etats, les gouvernements qui sont en place. À la fin des années 1980 et dans les années 1990, c'est la fin de la guerre froide. Le monde change totalement et en plus on se rend compte que peut-être ce n'est pas une bonne idée de travailler avec les Etats ou avec les gouvernements qui ont tendance parfois à mettre l'argent de la coopération dans leurs poches plutôt que de l'investir au profit des populations. Et c'est là qu'on commence aussi à diversifier un peu les partenariats, à chercher d'autres interlocuteurs sur place ?

Mathias Mogge : Absolument. Je crois que dans la politique de la coopération en Allemagne, la société civile a toujours joué un certain rôle. Il y avait toujours aussi des titres financiers pour la société civile. Mais ça a augmenté. Et même aujourd'hui, je crois que le rôle de la société civile est extrêmement important aussi pour la coopération allemande, mais il y a aussi d'autres acteurs qui émergent.

Par exemple, le secteur privé en Allemagne a aussi vu l'importance des Nations unies et, aujourd'hui, l'Allemagne est le bailleur de fonds le plus grand pour les Nations unies parce que l’avis des Allemands est que les problèmes globaux qui se posent aujourd'hui ne pourront être réglés que par un certain multilatéralisme.

DW : Les Nations unies, dans les années 1970 déjà, ont demandé à leurs Etats membres de s'engager à verser 0,7 pourcent du Produit intérieur brut à l'action humanitaire ou l'aide au développement. L'Allemagne s'y est engagée, elle a renouvelé ses engagements au sein de l'Union européenne. Or aujourd'hui, plus de 40 ans après, presque cinquante ans, on est bien loin du compte encore à 0,4 environ…

Mathias Mogge : 0,5…

DW : … il y a du mieux mais on est encore loin des engagements des années 1970.

Mathias Mogge : Vous avez absolument raison. Il y avait cet accord mais on en est encore assez loin et la société civile n'arrête pas de rappeler au gouvernement allemand et aux autres pays industrialisés de mettre en application cet accord. Il est aujourd'hui toujours extrêmement important que cette promesse soit tenue.

En revanche, on a aussi aujourd'hui un paysage un peu différent. Il y a d'autres bailleurs de fonds qui sont engagés en Afrique comme la Chine par exemple ou encore la Russie, le Brésil, les pays scandinaves, l’Arabie Saoudite, Bahrein etc.. Ces acteurs jouent n rôle peut être plus grand que la coopération traditionnelle parce qu'ils ont aussi un autre modèle.

DW : En 2001, après les attentats du 11 septembre à New York, le monde a encore changé. Il y a eu encore une autre constellation et une accentuation aussi des activités d'aide qui passaient aussi par des structures religieuses. Vous parlez de l'Arabie saoudite ou des émirats qui aident par le biais de structures islamiques en ouvrant des centres de santé, des écoles. Et puis il y a beaucoup plus de guerres asymétriques c'est-à-dire que les acteurs des conflits ne sont plus les mêmes. Et là aussi, ça change quelque chose pour l'aide humanitaire et l'aide dans des zones de crise : on n'a plus du tout les mêmes interlocuteurs, ce sont plus forcément des armées.

Mathias Mogge : C'est vrai, il y a aujourd'hui aussi d'autres acteurs dans des pays où nous travaillons en tant qu’ONG. Il y a aussi les militaires des différents pays.

Il y a aujourd'hui à peu près 40 pays qui sont vraiment dans un contexte de conflit armé. Très souvent, ils sont fragiles ou il y a beaucoup de migrants qui partent, par exemple, pour l'Europe.

L'Allemagne s'est réveillée un petit peu et ils ont reconnu qu'il faut changer aussi la politique, notamment en matière de coopération.

Il faut prendre notre continent voisin beaucoup plus sérieux qu’auparavant. Il faut aussi investir dans des structures propres à l'Afrique comme l'Union africaine. Il faut prendre au sérieux les jeunes qui sont par exemple en Afrique et voir le grand potentiel - aussi pour l'Europe- qu’ils représentent pour le développement de leur économie et de leur pays.

Il y a un autre élément : l'écologie. Elle joue aussi un très grand rôle et je crois que les gouvernements en Afrique ont compris qu'il fallait faire beaucoup plus qu'avant. Les bailleurs de fonds traditionnels aussi ont compris qu’il faut changer leurs politiques, qu’il faut investir beaucoup plus et assumer leurs responsabilités liées aux pays industriels.

Des propos recueillis par Sandrine Blanchard.

Retrouvez la seconde partie de l'entretien la semaine prochaine.

 

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