Rosa Luxemburg et son héritage pour la gauche allemande // Le couple franco-allemand à l'épreuve du populisme | PROGRAMME | DW | 16.01.2019
  1. Inhalt
  2. Navigation
  3. Weitere Inhalte
  4. Metanavigation
  5. Suche
  6. Choose from 30 Languages

PROGRAMME

Rosa Luxemburg et son héritage pour la gauche allemande // Le couple franco-allemand à l'épreuve du populisme

Cent ans après l'assassinat de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht, la gauche allemande revendique toujours l'héritage des deux figures de la révolution allemande. À quelques jours de la signature d'un nouveau traité de coopération entre l'Allemagne et la France, reportage à Bonn où le Premier ministre français est venu faire la promotion de l'amitié franco-allemande.

Socialiste, démocrate, communiste, révolutionnaire… les qualificatifs ne manquent pas pour désigner Rosa Luxemburg, assassinée le 15 janvier 1919 à Berlin avec son compagnon de route Karl Liebknecht. 

Rosa Luxemburg, militante socialiste polonaise et juive, finit ses jours tragiquement en Allemagne, le 15 janvier 1919

Rosa Luxemburg, militante communiste polonaise et juive, finit ses jours tragiquement en Allemagne, le 15 janvier 1919

La personnalité de Rosa Luxemburg a marqué l'Allemagne et surtout la gauche allemande. Nous allons voir de quelle manière avec Emmanuel Droit, professeur d'histoire contemporaine à Science Po Strasbourg.

"S'il reste une figure de cette époque qu'on peut valoriser, c'est bien Rosa Luxemburg parce que c'est une figure consensuelle qui incarne une forme de socialisme démocratique et d'appel au pacifisme et au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes."

L'Allemagne au lendemain de la Première Guerre mondiale

Mais pour commencer, replaçons les événements dans leur contexte historique. Imaginez l'Allemagne il y a cent ans. Le pays vient de perdre la Première Guerre mondiale, l'empereur Guillaume est en fuite, et la paix est loin d'être acquise. 

Karl Liebknecht haranguant la foule en 1918 à Berlin

Karl Liebknecht haranguant la foule en 1918 à Berlin

Depuis fin octobre 1918, l'Allemagne est en effet secouée par une révolte. L'insurrection a été lancée par des soldats qui ne voulaient pas repartir au combat, avant de s'étendre aux classes populaires.

Après la proclamation de la République, le 9 novembre, les autorités conduites par le social-démocrate Friedrich Ebert tentent d'imposer l'ordre en vue de conduire le pays à des élections. Mais la ligue spartakiste de Karl Liebknecht mobilise les foules.

Pour diffuser leurs idées, les Spartakistes publient le journal "Die rote Fahne", en français "Le drapeau rouge", dans lequel Rosa Luxemburg appelle à la révolution du prolétariat. 

"Elle est marquée par une approche assez démocratique de la révolution, avec cette idée que ce sont les masses qui vont, par leur poids et leur action, s'emparer du pouvoir." 

La démocratie comme base du socialisme

En décembre 1918, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg fondent le KPD, le parti communiste allemand. Inspirés du modèle bolchévique, leur rêve est de bâtir une république socialiste.

Le conseil des représentants du peuple, en novembre 1918, présidé par Friedrich Ebert

Le conseil des représentants du peuple, en novembre 1918, présidé par Friedrich Ebert

Mais contrairement à Lénine et aux révolutionnaires russes, Rosa Luxemburg et les spartakistes allemands sont attachés à la démocratie. 

"Elle incarne un courant radical qui pense que pour établir un ordre nouveau il faut balayer l'ordre bourgeois au pouvoir. Mais elle a une approche du pouvoir par la base qui tranche avec celle de Lénine puisqu'elle considère que ce qui est important, c'est la légitimité du régime socialiste. Il faut établir la dictature du prolétariat par la force, mais cela doit déboucher rapidement, à partir d'élections, sur un régime socialiste légitimé par les urnes. Donc en ce sens, elle s'oppose à la conception léniniste du parti communiste qui est considéré comme l'avant-garde des prolétaires et c'est donc à cette avant-garde que revient d'exercer le pouvoir."

En janvier 1919, les événements se précipitent. Pour vaincre l'insurrection populaire et ramener l'ordre dans la perspective des élections prévues à l'Assemblée nationale constituante le 19 janvier, Friedrich Ebert et son gouvernement emploient les grands moyens.

"Il a peur de la contagion révolutionnaire, peur du chaos et il va sceller avec les élites militaires de l'ancien Empire déchu une sorte de pacte et il va, avec l'aide des troupes gouvernementales, écraser l'insurrection spartakiste qui démarre à la fin du mois de décembre et surtout au début du mois de janvier."

Le 4 janvier 1919, la grève générale est décrétée à Berlin. Les révolutionnaires érigent des barricades et occupent des bâtiments officiels. Mais ils sont écrasés dans les jours qui suivent par les corps d'élite – la répression fait plus de cent morts! La tête des leaders spartakistes est mise à prix. 

Assassinés avec la bénédiction du gouvernement

Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont arrêtés le 15 janvier et assassinés sans autre forme de procès par les miliciens, avec la bénédiction du gouvernement social-démocrate.

L'enterrement de Rosa Luxemburg, le 13 juin 1919

L'enterrement de Rosa Luxemburg, le 13 juin 1919

Selon la version officielle, Karl Liebknecht est abattu en tentant de prendre la fuite lors de son transfert en prison. Rosa Luxemburg est elle aussi tuée d'une balle dans la tête.

"Il y a un communiqué qui va sortir et qui va constituer une sorte de 'fake news' de l'époque, disant qu'elle a été tuée par une foule de citoyens en colère. Finalement, le corps a été précipité dans l'eau et c'est seulement à la fin du mois de mai qu'on retrouvera son corps, qui est repêché le 31 mai dans le Landwehrkanal."

L'héritage de Rosa Luxemburg

Cent ans après sa mort tragique en 1919, la mémoire de Rosa Luxemburg est toujours vive au sein de la gauche allemande. Tous les ans, le deuxième dimanche du mois de janvier, des milliers de personnes affluent au mémorial socialiste du cimetière central de Friedrichsfelde, à Berlin, pour une commémoration silencieuse.

Un hommage déjà rendu en Allemagne de l'Est avant la chute du Mur de Berlin, malgré l'opposition affichée par Rosa Luxemburg du temps de son vivant au totalitarisme. 

"C'était l'occasion pour les dirigeants de la RDA de bien inscrire la RDA dans la continuité de l'Histoire allemande, pour montrer que ce n'était pas un enfant de la Guerre Froide, un enfant non désiré de Staline mais qu'elle avait des racines proprement allemandes (...) Mais toute la pensée politique de Rosa Luxemburg, ses critiques par rapport à la révolution d'octobre, évidemment tout cela était tabou. On prenait certains éléments de sa vie de et on mettait en avant son internationalisme, son soutien initial à la révolution d'octobre, son attachement à la paix, sa dénonciation de la Première Guerre mondiale comme une guerre impérialiste, donc tout ce qui allait dans le sens du régime était utilisé et c'était une instrumentalisation sélective de la figure de Rosa Luxemburg du temps de la RDA."

"La liberté de ceux qui pensent autrement"

Les dissidents qui osent défier le pouvoir central le 17 janvier 1988 seront emprisonnés

Les dissidents qui osent défier le pouvoir central le 17 janvier 1988 seront emprisonnés

À la fin de la dictature en RDA, certains dissidents ont également revendiqué l'héritage de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht pour réclamer des réformes. Un an avant la chute du Mur, certains défient le pouvoir central lors de la cérémonie de commémoration en s'affichant avec des banderoles sur lesquelles figure sans doute l'une des phrases les plus connues de Rosa Luxemburg:

"La liberté qui ne vaut que pour les partisans du gouvernement, pour les membre d'un parti - aussi nombreux soient-ils - n'est pas la liberté. La liberté est toujours la liberté de ceux qui pensent autrement."

Aujourd'hui, une fondation proche du parti Die Linke porte le nom de la révolutionnaire spartakiste. Et la composition du public qui se réunit une fois par an pour lui rendre hommage montre à quel point Rosa Luxemburg est, aujourd'hui encore, une inspiration pour la gauche radicale.

"Il y a toute la gauche communiste, radicale. Toutes ses tendances de la plus importante à la plus minoritaire y sont représentées et défendent une approche consensuelle de Rosa, notamment autour de l'image d'une femme engagée et attachée à la défense de la paix et la lutte contre l'impérialisme. Et c'est toujours une figure qui permet aussi à la gauche communiste de se mettre à distance par rapport à la sociale-démocratie allemande car d'une certaine manière c'est une gouvernement présidé par un social-démocrate qui a écrasé la révolution dans le sang, et ce fossé de sang reste assez vif dans les mémoires et permet à la gauche non sociale-démocrate d'établir une distinction très claire entre 'eux et nous'. Et quelqu'un comme Oskar Lafontaine qui a lancé avec sa compagne Sahra Wagenknecht le mouvement extra-politique sur la gauche 'Aufstehen' revendique cette différence entre eux et la sociale-démocratie actuellement au pouvoir, notamment sur la tradition de ce fossé de sang dont Rosa Luxemburg est le témoin."

Solidarité affichée avec les Gilets jaunes

Dans le cortège du centenaire de l'assassinat de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, on a pu apercevoir des banderoles de soutien au mouvement des Gilets jaunes, qui agite la France voisine depuis plusieurs semaines.

Pour Emmanuel Droit, le soutien de la gauche radicale allemande au mouvement contestataire trouve un écho dans la mémoire de Rosa Luxemburg.

"Cette manière dont on célèbre la figure de Rosa Luxemburg, son attachement à dénoncer les conditions d'exploitation du prolétariat, à défendre une démocratie participative par le bas... eh bien une partie des sympathisants de la gauche communiste, c'est de cette façon qu'ils perçoivent le mouvement des gilets jaunes en France et c'est une façon pour eux de considérer que les frontiéres nationales ne jouent pas de rôle mais que le véritable enjeu est un enjeu de lutte de classe qui se joue à l'échelle européenne, voire à l'échelle mondiale. Et la présence symbolique de ces gilets jaunes est une manière de rappeler la solidarité prolétarienne que défendait Rosa Luxemburg. (...) Je pense qu'elle aurait été sur un des ronds-points pour défendre plus de justice sociale et plus de démocratie par la base."

Nouvelle page dans l'amitié franco-allemande

Edouard Philippe, émissaire de l'amitié franco-allemande

Edouard Philippe, émissaire de l'amitié franco-allemande

Les élections européennes approchent. Du 23 au 26 mai, les citoyens membres de l’Union européenne éliront leurs nouveaux représentants au Parlement européen. Une élection-clé, alors que l’Europe fait face à la montée des populistes. Pour contrer les eurosceptiques, les gouvernements français et allemand prévoient une nouvelle coopération bilatérale, dont le Premier ministre francais a fait la promotion lors de sa visite au lycée francais de Bonn en Allemagne. Clin d'œil au sujet précédent, ce lycée porte justement le nom de Friedrich Ebert. Un reportage de Lucie Duboua-Lorsch.

Le traité d'Aix-la-Chapelle succèdera donc à celui de l'Élysée qui a marqué les relations franco-allemandes pendant près de six décennies. La cérémonie est prévue mardi prochain dans la majestueuse salle du couronnement de l'hôtel de ville d'Aix-la-Chapelle, symbole historique des liens entre les deux pays - c'est là que Charlemagne avait été sacré Empereur. 

Tous les  magazines Vu d'Allemagne sont disponibles dans la médiathèque.